-
A) LE PAYSAGE RURAL EN BEARN AU XVIIIe SIECLE
LE PAYSAGE RURAL BEARNAIS
Ce qui marque avant tout le monde agricole est son hétérogénéité.
Comment se présentait le paysage béarnais au XVIIIe siècle ? D’abord, précisons que la province couvre à l’époque 4 186 km2.
Nous avons deux descriptions dressées par deux Intendants successifs qui nous ont laissé deux « Mémoires » lors du règne de Louis XIV. Le roi et le duc de Beauvilliers cherchent à partir de 1697 à dresser un tableau de la France afin de servir à ses successeurs dans leur gouvernement du royaume. En conséquence les Intendants établissent par le biais des « Mémoires sur l’état des Provinces » une description des provinces et des généralités qu’ils administraient. Ces Mémoires doivent également servir à instruire le successeur du roi, le duc de Bourgogne, afin qu’il puisse administrer le pays par la suite. Nous possédons grâce à eux un exposé géographique, économique, juridique... détaillé des territoires de leurs ressorts. Ces documents furent connus du public, notamment en 1727 par leur publication par le duc de Boulainvilliers en trois volumes.
En Béarn, il s’agit des Intendants Pinon et Lebret. Le premier a écrit son « Mémoire » en 1698 et le second en 1703. 1
L’Intendant Pinon commence l’analyse de la géographie du Béarn en se référant aux gaves qu’il appelle « Gave béarnois » (il s’agit du gave de Pau) et le « Gave d’Oloron » constitué de ceux d’Ossau et d’Aspe. Pour chacun d’entre eux, il énumère les sources et les lieux de passage. Faisant le lien avec le domaine économique, il note que ces « rivières ne portent point de bateaux dans le païs à cause de leur rapidité », par contre, il constate qu’ils sont très poissonneux. 2 L’Intendant Lebret ne mentionne que l’étendue du Béarn et sa situation, il écrit que la province revêt une forme triangulaire de « seize lieues de Gascogne en sa plus grande longueur et douze lieues de largeur ».3
Comme le remarque Christian Desplat , les deux Intendants ne dressent pas une étude approfondie des montagnes si ce n’est M. Lebret lorsqu’il s’agit d’aborder les forêts. De plus, le même auteur souligne qu’ils n’ont guère insisté sur les coteaux et les hautes plaines béarnaises. Pour lui, « ils ont excessivement privilégié le rôle des « ribeyres » (les terrasses alluviales) dans la vie économique et sociale de la province ». 4
Pourtant, il est vrai que pour le Béarnais du XVIIIe siècle comme celui d’aujourd’hui, les montagnes représentent un élément important. Nos trois grandes vallées montagnardes que sont celles d’Aspe, d’Ossau et de Barétous ne représentaient pas de véritables barrières puisqu’elles correspondaient à un axe Nord-Sud par rapport à l’axe dominant des montagnes Ouest-Est. Si elles pouvaient devenir un danger d’invasion pour des conquérants, elles recelaient aussi un avantage, celui des échanges qu’elles ont sus très bien développer. A l’époque, les densités humaines y sont très importantes.
Les gaves dont nous avons fait allusion traversent des coteaux, eux-mêmes coupés par des vallées de moindre importance que nos vallées montagnardes, on peut mentionner celles de l’Entre-Deux-Gaves, le Vic-Bilh.
Rappelons avant tout que la vision des champs que nous avons actuellement ne correspond guère à celle qu’elle offrait au XVIIIe siècle. Les parcelles à l’époque sont de dimensions plus petites qu’aujourd’hui, si elles nous apparaissent avec des formes bien régulières, ce n’est pas le cas dans le passé. En Béarn, dans les vallées des Gaves et les vallées montagnardes, elles couvrent généralement une quinzaine d’hectares, voire seulement dix. Elles sont plus importantes dans les zones de collines.
Quant au sol, selon le type de labour pratiqué, il peut apparaître plus ou moins inégal. Si l’on utilise la culture sur billons surtout sur des terres argileuses lourdes, le sol ne montre pas la même apparence que si l’on pratique le labour en planches, on cultive avec une charrue non réversible. Le contemporain de l’époque pouvait s’émerveiller des nombreuses couleurs qu’il voyait en apercevant les champs. Sur une parcelle donnée, plusieurs variétés de plantes coexistaient, d’où des contrastes de tous types, la hauteur, la couleur. Si le paysan actuel emploie fréquemment des herbicides, au XVIIIe siècle les plantes sauvages comme les herbes et les fleurs étaient davantage présentes, par exemple le coquelicot.
Quant aux bois et forêts, ils offrent de nombreuses variétés qui s’expliquent par le climat océanique qui domine (forte pluviosité dans les zones de plaines notamment), la diversité des terrains (par exemple des terres lourdes ou couvertes d’humus) et des types de reliefs comme la plaine ou la montagne.
On y trouve comme essences des chênes (pédonculés ou tauzins), des hêtres et des châtaigniers, dans les zones du piémont et sur les coteaux, sur les versants montagneux les mêmes essences jusqu’à près de 1 000 mètres d’altitude, au-delà des sapins. Le constat de l’Intendant Lebret dans son rapport de 1701 et le recensement général des forêts de 1785 déplorent l’état de dégradation de la forêt béarnaise dans son ensemble. Plusieurs causes expliquent cet état de fait. La croissance démographique, les défrichements, l’exploitation par la marine royale soucieuse de doter ses navires de mâts, des pratiques exercées par les Béarnais comme le soutrage (se procurer les feuilles mortes, le bois mort dans les forêts), le pacage (droit de faire paître le bétail dans les forêts), les forges sont également en prendre en compte (il en existe 9 en 1771).
D’après ledit recensement de 1785, il ressort que les bois communaux sont moins étendus en plaine que dans les zones montagneuses. Dans ces dernières, ils sont implantés sur les versants pentus et bien exposés. L’essence prédominante est le chêne.
L’avocat Charles de Picamith, dans son volume 2 de sa « Statistique générale des Basses-Pyrénées » datant de 1858, mentionne que par rapport à la superficie du département qui s’étend alors à 762 265 ha l’étendue de la forêt n’est que de 145 700 ha approximativement, qu’elle a baissée. Si on écarte les bois appartenant à l’Etat, aux communes et à quelques particuliers, il ne reste que « des bouquets d’arbres éparts sur des landes incultes ou à l’état de pâture et trop clairsemés pour mériter la dénomination sous laquelle ils se trouvent inscrits aux matrices cadastrales. »
Les deux vallées correspondant aux Gaves d’Oloron et de Pau atteignent des longueurs avoisinant les 60 à 80 kilomètres. Ces deux « arribères » sont orientées toutes les deux selon un axe Sud-Est/Nord-Ouest. Les orages et fontes des neiges les grossissent et provoquent des crues dévastant parfois les terrasses alluviales.
Christian Desplat en décrivant les ribeyres (terrasses alluviales) nous dépeint un paysage agraire composé « d’un habitat fortement concentré,... une grande diversité de cultures très imbriquées. Les rivières des gaves de Pau et d’Oloron offrent des paysages comparables. Un habitat groupé s’est installé sur la moyenne terrasse... ». Plus précisément, l’habitat groupé était un plus relâché sur la rive gauche du gave de Pau.
Entre les localités d’Orthez et de Pau, les terrasses alluviales sont plus étroites expliquant des superficies agricoles restreintes et des habitats moins groupés. Près de Pau, la lande a néanmoins dominé durant longtemps, ce qui permettait aux paysans de pratiquer le pacage et le soutrage. L’habitat était plus dispersé, les exploitations agricoles se greffant davantage aux champs.
Au bord du gave, « le lit majeur... comportait une « saligue », véritable forêt galerie aux multiples ressources » notamment pour les plus pauvres « qui lâchaient des troupeaux de chèvres dévastateurs ». Cedit lit majeur est pavé de galets où poussent des saules, des aulnes , des noisetiers… mais également des chênes et des peupliers par l’entremise des hommes.
En ce qui concerne la ribeyre d’Oloron le « cloisonnement est un peu moins prononcé », la cause en revient aux « enclosures du XVIIIe siècle et surtout du XIXe siècle » 5
Il nous rappelle qu’à l’époque les crues des gaves étaient dévastatrices, comme cela a été mentionné plus haut. A l’origine, ces terrasses ne sont pas globalement fertiles vu que le sol argileux qui repose sur des galets souffre d’une insuffisance de chaux et de phosphates. L’homme, par son travail, réussit à drainer, à fertiliser, ce qui explique l’habitat groupé propre à l’organisation collective.
Il rajoute que dans les ribeyres la céréaliculture était associée à l’élevage. Les Béarnais ont cherché à introduire la viticulture au début du XVIIIe siècle, mais n’ont pu produire qu’un vin de moindre qualité. Le même auteur mentionne que les ribeyres ont connu « une prolifération nouvelle d’enclos » mais « les rotations, la vaine pâture restèrent toutefois longtemps encore les traits dominants de leur économie agraires ». 5
Si l’on se penche plus profondément sur la plaine de Nay située globalement à la confluence des cours d’eau l’Ouzon et l’Ousse. Enserré par deux lignes de coteaux, le Gave de Pau dans lequel l’Ouzon se jette sert également de limite occidentale et est encadré par la saligue. La plaine s’allonge sur une distance d’ une vingtaine de kilomètres. Le Gave a imposé aux hommes sa loi lors des crues parfois si dévastatrices qu’elles détruisaient les habitations et les cultures obligeant la population à s’unir. La solidarité villageoise, le travail fait en commun afin de faire front aux caprices du cours d’eau expliquent, comme cela a été écrit plus haut, l’habitat groupé. Des règles furent prises, par exemple, pour forcer les habitants à ne pas édifier des bâtiments et à planter des arbres dans des zones bien délimitées. Bénéficiant de coteaux boisés aux alentours, la communauté se servait des terres lui appartenant pour l’usage du pacage des animaux et du soutrage. Ce dernier consistant dans ce cas à permettre chaque année la récolte de la fougère qui servait de litière, procurant ainsi de la fumure. La plaine de Nay a toujours été considérée comme une zone agricole riche, notamment dans la culture céréalière, surtout en blé et en maïs. L’élevage n’était pas négligé (chevaux, bovins).
Les rivières, au XVIIIe siècle, jouent un rôle de plus en plus important économiquement et même politiquement puisque les villes qui s’y rattachent dominent celles des coteaux. Il cite l’exemple de Morlaàs qui a « dû céder la place ». Même les routes royales ont abandonné les crêtes pour suivre les cours d’eau.
Le plateau de Ger est composé de « villages groupés », celui de Morlaàs, au contraire se distingue par des « villages dispersés, de fortes exploitations... et une présence nobiliaire importante... ».
Le Pont-long, « immense glacis alluvial », est un relais « de la grande transhumance », où les touyas, véritable fumier, permettaient aux cultivateurs de se passer de la jachère.
Le Nord et l’Ouest du Béarn sont constitués d’habitat dispersé avec une association polyculture et élevage. »
Le Vic-Bilh – vieille circonscription - présente un habitat dispersé où la viticulture et l’élevage étaient associés.
Son paysage est formé de vallées et de collines. Les versants est sont plutôt secs et sont plantés de bois alors que ceux de l’ouest sont davantage propices à la culture.
Les fermes ont des toits pentus, les façades sont plutôt orientées vers l’Est afin d’éviter les inconvénients dus à la pluie et au vent en provenance de l’Ouest. La tuile prédomine.
Quelques communes ne comptaient pratiquement que des fermes isolées enserrant un petit centre : Claracq, Sévignacq, Ribarrouy.
Ce que l’on appelle le pays des Luys et du Gabas, qui s’étend du Vic-Bihl au Nord-Ouest du Béarn, est aussi composé de collines avec des bois de chênes et de châtaigniers et de vallées constituées de landes et de bois. Les localités sont édifiées sur les hauteurs.
Aux environs de Morlaàs, nous sommes en présence d’une « haute plaine » dans laquelle les villages sont « de taille médiocre ». « De fortes exploitations ponctuent un parcellaire coupé de très nombreuses haies. » 6
« Du Nord-est d’Oloron au Nord de Sauveterre-de-Béarn » les coteaux sont le « pays au bois ». Les vallées sont « encaissées, trop étroites... ». 7 Les « villages sont constitués d’exploitations isolées ».
« Autour de Bougarber et d’Arthez-de-Béarn, tous les villages sont de petite taille et l’habitat dispersé l’emporte au sein d’un bocage inégal. A une céréaliculture longtemps médiocre ces petits « pays » associèrent toujours un élevage vigoureux de porcs qui furent vendus à Arthez (« lou bitous d’Arthez »). Salés à Orthez, ils étaient enfin négociés à Bayonne ». 7
Toujours d’après le même auteur, la mise en valeur de la province se serait opérée « par épisodes successifs, sans toujours commencer par les meilleures terres. Dans tous les cas, il n’y eut aucune vague brutale de défrichements et la tradition attestait le lent passage d’une activité strictement pastorale à l’équilibre agro-pastoral qui prévalait encore au XVIIIe siècle. » 8
Jean Caput , pour sa part, dans son étude sur les anciennes coutumes agraires dans la Vallée du Gave d’Oloron écrit que « les vieilles formes d’exploitation », c’est-à-dire l’assolement triennal et l’exploitation communautaire, caractérisent les « ribères » (ou « ribeyres »). Les communes sont quasiment autosuffisantes, elles détiennent des forêts importantes « sur les coteaux bordant de part et d’autre les vallées… échappant au monopole d’un particulier » même si ce dernier appartient à la noblesse vu que les paysans à l’époque détenaient des droits d’usage, et de citer la coupe, le ramassage du bois mort, la glandée et le pacage. 9
Prenons un exemple, le cas de Bruges.
La part de l’élevage dans ce village du piémont pyrénéen est importante, du fait des nombreux conflits constatés entre la cité et les communautés environnantes telles Asson et Igon. Même si Annie Suzanne Laurent observe que « dans chaque propriété agricole, les surfaces de prés dont le terroir de 1782 donne la superficie, paraissent bien réduites. Leur total ne donne que 319 arpents sur 2911 arpents de terre, soit à peine 11% ». Elle ajoute pour expliquer ce chiffre relativement bas : « Il faut déjà penser que les terres labourables peuvent servir de terrain de pâture entre les récoltes et l’ensemencement. En fait, l’été, l’essentiel du bétail des membres de la communauté étant dans les estives, les prés n’ont d’intérêt que pour faire des réserves de foin et nourrir des animaux, peu nombreux, restés près de la ferme en raison de leur utilité journalière : quelques bêtes de somme, éventuellement une vache pour le lait… Au demeurant subsistent partout les vastes espaces que sont les châtaigneraies, bois et fougeraies. »
Ensuite, l’auteure se penche sur l’agriculture de subsistance. Les terres labourables concernent les 2/3 des terres. 10
Autre exemple, celui de la vallée du Gave d’Oloron qui est couverte de champs « découpés en longues lanières, groupés par quartiers et soumis à deux contraintes : l’assolement obligatoire et la vaine pâture ». Ce dit assolement était biennal et « la jachère inconnue ». Jean Caput l’explique par l’utilisation importante du fumier. « On faisait alterner les grains menus (millet, avoine et orge) semés au printemps et les gros grains (froment et seigle) semés en automne. La vaine pâture s’avérait presque inexistante « puisque la sole en jachère était utilisable seulement pendant quelques mois » puis lorsque la moisson avait été faite « les champs retombaient dans le domaine commun (devenaient vains)… » permettant au cheptel de la communauté de « pâturer sur les chaumes et dans les bois mêlés de landes », toutefois il fallait tenir compte du privilège du seigneur des « herbes mortes » (location vis-à-vis des « pasteurs transhumants ») tant décriées par les paysans comme on l’a vu dans les cahiers de doléances. La même auteure explique l’existence de ce système comme un résultat d’une « structure sociale particulière et une mentalité abolie ». Au niveau historique, les gens, constitués de petits propriétaires, « se partageaient une très mince bande de terre alluviale » et se regroupaient afin de ne pas « gaspiller des bonnes terres », écartant tout procédé de clôture comme les murettes et les haies. Tout le monde, même les paysans les moins fortunés, bénéficiait du « pacage commun ».
Une division est opérée au niveau du terroir entre une « plaine supérieure » et une « plaine inférieure » correspondant aux surfaces cultivées « en amont ou en aval du village, ou bien des deux côtés du principal chemin rural, des croix précisant les limites ».
Quand les récoltes sont achevées, on introduit le bétail sur la moitié des terres du fait de la rotation des cultures. Mais au XVIIIe siècle, comme nous le verrons ultérieurement, certains propriétaires veulent corriger tout le système que nous venons de voir, c’est-à-dire que « Certains laboureurs voulurent échapper à ce repos forcé et faire prédominer l’intérêt de l’agriculture intensive sur l’élevage extensif », une des raisons à ce phénomène est l’apparition d’un certain individualisme. 11
Lorsque les clôtures sont dressées, de quels matériaux sont-elles composées ? Le même auteur nous détaille plusieurs types comme celle constituée de sep, de pieux ou de branches comme on pouvait l’observer à Sainte-Marie d’Oloron, de « muraille cimentée » dressée par les riches propriétaires de Barreau à Bugnein en 1754, de barrière afin de faciliter le passage du bétail, d’aubépines, de pieux (ou pau). 12
Les paysages montagnards béarnais sont découpés par les trois vallées que sont celles de Barétous, d’Aspe et d’Ossau. Les monts sont auréolés de croyances surnaturelles, ils occasionnent de la crainte. Les Béarnais pensaient que le pic du Midi d’Ossau servait de résidence à des géants qui s’engouffraient dans ses entrailles par le biais d’un escalier, de même que le pic d’Anie aurait été un lieu habité par des sorcières.
Du fait des contraintes climatiques, les vallées sont densément peuplées à l’opposé des montagnes. Aux villages qui parsèment le fond des vallées, les flancs des montagnes sont occupés par des champs, des prairies et des forêts qui se superposent. Leurs dispositions dépendent de leur localisation en rapport avec les versants correspondant à l’ombrée (ou ubac dans les Alpes, correspond à la partie à l’ombre) ou à la soulane (ou adret dans les Alpes, soit la partie ensoleillée).
Les hommes ont dû édifier des murettes de pierre pour consolider les bandes de terre qui leur servaient de champs.
Les toits des fermes sont couverts d’ardoises produites localement.
Si l’on se penche sur la vallée d’Ossau, celle des trois la plus importante sur le plan démographique, est partagée en deux zones. La première, d’une altitude moyenne de 500 mètres, est plus évasée, ce qui explique que les Ossalois y ont établi plusieurs villages. Elle s’étend de Sévignac à Laruns approximativement. Les hommes y ont planté des grains, mais ont dû faire face à des crues. La seconde se poursuit jusqu’à la frontière espagnole et s’élève en altitude. L’élevage lié à la transhumance a son importance vu que la production céréalière s’avère insuffisante. Les Ossalois retirent de la vente des animaux et des produits laitiers de quoi compenser ce manque à gagner. L’épizootie de 1774 qui décima grandement le cheptel bovin amena les Ossalois à privilégier les ovins.
Quant à la vallée d’Aspe, elle s’étend du défilé d’Escot jusqu’au col du Somport sur une distance avoisinant une trentaine de kilomètres. Elle est plus encaissée que la précédente, sauf au niveau du bassin de Bedous. Si dans cette zone il était possible de récolter des grains vu son caractère plat, par contre dans tout le reste l’élevage prédominait. Le contrôle par les Aspois des pâturages était essentiel, ils appartenaient à la communauté, alors qu’au fond de la vallée la propriété était davantage individuelle. Comme dans la vallée d’Ossau, les pâturages à travers le droit de pacage étaient réglementés. De même, au niveau des villages, une véritable organisation sociale s’était établie depuis longtemps au profit des maisons dites casalères. La vallée, grâce à l’altitude moins importante du col du Somport par rapport à ceux des autres vallées, était une grande voie de passage des hommes et des marchandises vis-à-vis de l’Espagne et plus particulièrement de l’Aragon.
Enfin, concernant la vallée de Barétous , on peut la diviser, elle aussi, en deux parties, une située autour d’Arette, d’altitude moins élevée puisque la moyenne est de 400 mètres. On y trouve des collines sur lesquelles les prairies dominent et les bois sont peu importants, à l’opposé de la haute vallée dans laquelle on relève la forêt d’Issaux et le gouffre de la Pierre Saint-Martin niché dans un paysage calcaire.
On note que cette vallée offre de bons pâturages aux bovins qui ont été peu touchés par l’épizootie de 1774 et aux ovins. L’élevage a été aussi l’activité économique qui a compensé la faiblesse des productions céréalières.
Dans l’ouvrage de Pierre-Yves Beaurepaire 13, une étude est entreprise sur l’appréhension et la représentation des paysans sur les terroirs. Pour eux, « l’espace vécu est d’abord un espace perçu ». Le temps est appréhendé en journées de travail ou selon le moyen de déplacement (pied, cheval) et non en heures, il travaille selon le rythme des saisons ou celui de « la course du soleil ». S’il doit aller vendre le fruit de sa récolte au marché de la ville voisine, il estime le temps qu’il met pour l’atteindre et pour revenir avant que tombe la nuit. Des éléments de bornages répartis dans le zonage vécu lui permettent de se repérer comme les croix dans les carrefours, les chapelles… Et de citer Jean-Michel Boehler 14 lorsqu’il écrit : « la traditionnelle lieue est une mesure bien trop grande par rapport à l’univers étroit de la paysannerie. On préfère s’exprimer en langage imagé : les distances sont évaluées en portée de mousquet ou en jet de pierre… Le paysan apprécie le monde qui l’entoure en utilisant comme étalon les parties de son propre corps : le pied, la coudée, le pouce ». A travers les régions françaises, on peut discerner différentes unités de superficie mais elles sont déterminées en fonction du temps consacré au travail, si on prend l’exemple du laboureur qui utilise la charrue il appellera « arpent » l’ensemble de la zone que peut labourer ses bœufs ou ses chevaux entre l’aube et le crépuscule. De plus, sa perception de l’espace dans lequel il baigne est différente de celle du seigneur et de l’agent fiscal. Il privilégie les chemins, les bois, les terres, l’église, le château de son seigneur. Son monde gravite autour de son village, de la ville voisine où il se rend au marché. Quant au seigneur, il perçoit sa seigneurie « comme l’étendue de sa mouvance, comme un espace juridique ». Il en fait dresser des cartes pour mieux asseoir ses droits qu’il prélève, ce que l’on nomme les « plans terriers », surtout à partir du milieu du XVIIIe siècle.
Notes :
1- Mémoires des intendants Pinon et Lebret, Bull.SSLA de Pau, 2e série, tome 33, 1905.
2- Idem., p. 38.
3- Idem., p. 72.
4- Desplat, Christian, Pau et le Béarn au XVIIIe siècle, Editions Terres et Hommes du Sud
J & D Editions, 1992, tome 1, p. 20.
5- Desplat Christian : « Principauté du Béarn », Edition « société nouvelle d’éditions
régionales et de diffusion », 1980, p. 24.
6- Idem., p. 25.
7- Idem., p. 27.
8- Idem., p. 32.
9- Caput Jean : « Les anciennes coutumes agraires dans la Vallée du Gave d’Oloron »,
Bull.SSLLA. de Pau, 3e série, tome 15, 1955, p. 62-63.
10- Annie Suzanne Laurent, La bastide de Bruges de ses origines à la Révolution, TER,
Université de Pau et des Pays de l’Adour, Histoire de l’art et archéologie, 2001,
p. 67.
11- Caput, Jean, Opus cité, p. 65.
12- Idem., p. 68.
13- Beaurepaire Pierre-Yves : « La France des Lumières (1715-1789) », Collection
« Histoire de France » sous la direction de Joël Cornette, Belin, 2011, p. 549-553-569.
14- Boehler J.M : «Une société rurale en milieu rhénan : la paysannerie de la plaine
d’Alsace (1648- 1789) », Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1994,
tome 1, p.46.
Tags : paysage rural béarnais, Vic-Bihl, Entre-Deux-Gaves, gave d'Oloron, gave de Pau