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    L’OUTILLAGE  AGRICOLE ET LES MOYENS DE TRANSPORT AGRICOLES EN FRANCE  ET EN BÉARN AU XVIIIe SIÈCLE

        

    A)   L’outillage

     

     

     

      Au sujet de l'outillage agricole, en France, il est traditionnel.

     

    On cite souvent l’agronome Henri Louis Duhamel du Monceau auteur notamment en 1760 d’un « Traité sur la culture des terres » qui , en analysant la France agricole de son temps,  écrit : « Ce royaume a près de moitié de son terrain en friche, l’autre moitié est si mal cultivée en général qu’elle rapporterait au moins le double si elle était travaillée convenablement ». Les historiens sont d’accord pour certifier que ce sont des propos excessifs.

     

    Mais ce qui est sûr, afin de lutter contre la nature et s’assurer une production agricole, les moyens utilisés sont les animaux domestiques et des instruments généralement en bois avec quelques pièces de métal. En ce qui concerne les animaux, il peut s’agir de chevaux, de bœufs, de mulets, d’ânes, de vaches. Depuis la Préhistoire les hommes ont domestiqué ces bêtes de trait  Antoine Lavoisier 1  nous a dressé un dénombrement pour la France : 7 millions  bovins, 1 780 000  chevaux. 

     

    Le laboureur utilise les instruments aratoires légers et peu onéreux  relevant davantage d’une industrie  que l’on pourrait qualifier de domestique. Dans le nord, on emploie généralement  la charrue (et si on se localise dans un bassin sédimentaire propice  à une plus grande prodigalité on utilise plus volontiers l'assolement triennal et la monoculture) et dans le sud l'araire (les céréales voient leur importance  moins prépondérante parallèlement à d'autres cultures comme l'arbre fruitier, dans le Midi, l'assolement biennal domine). Posséder un araire ou une charrue est un signe de fortune car cela suppose que le propriétaire possède également un attelage et de quoi le nourrir, on l’appelle le « laboureur » et,  de ce fait,  il est amené à louer aux autres villageois qui n’en ont point.

     

    Qu’attend-on par assolement biennal ? C’est une division des terres d’une communauté villageoise en deux parties  nommées soles. Une sole  est occupée  un an par une culture tandis que l’autre est laissée en jachère. La jachère consiste à laisser en repos une terre pour qu’elle puisse reconstituer ses éléments fertilisants.  Chaque année, le cercle tourne sur lui-même. Concrètement, tous les paysans d’un village donné tiennent des lanières  de terre dans les deux  parties. On sème la même plante dans la sole cultivée. Pour marquer ces lanières afin de les distinguer, on use d’un double sillon, d’un rejet de terre... On cherche à permettre la possibilité de faire un demi-tour à l’araire ou à la charrue. Pas de haie, pas de clôture.

     

    On pouvait également abandonner une sole pour la friche et diviser la seconde sole en deux moitiés, l’une semée à l’automne et l’autre au printemps.  Ce dernier cas s’apparente fort à l’assolement dit triennal car nous sommes en présence de trois champs mais où la friche est plus étendue.

     

    L’assolement triennal comporte trois soles comme leur nom l’indique, deux parties sont cultivées, l’une est semée à l’automne  ou en hiver (céréales comme le froment, le seigle, le méteil ou l’épeautre), l’autre est occupée au printemps (céréales ou marsages – ou de mars -  comme l’orge, l’avoine, le millet ou le sarrasin…) et la dernière est laissée en friche. Comme pour le précédent assolement, il y a rotation des cultures sur trois ans. Ce système a l’avantage de réduire la surface des terres en jachère.

     

     

     

    Dans la plaine de Nay, à Mirepeix notamment, les trois soles se disposaient parallèlement les unes par rapport aux autres et ceci transversalement au gave de Pau.

     

    On retrouve ce type d’assolement dans la plaine de Nay et particulièrement à Mirepeix, analysé par Yves Suarez (voir partie bibliographie).

     

    Selon cet auteur, il serait à l’origine de la « dispersion et du morcellement des terres » obligeant le paysan à des « déplacements incessants ». Il cite le chiffre de cent vingt et un tenanciers qui devaient se partager deux cent vingt-cinq hectares ».

     

    Ces deux systèmes dépendent d’un accord commun des villageois pour entreprendre les labours, les semailles et la moisson d’où la mise en place de règles communautaires, de multiples droits dont la vaine pâture, le glanage, le chaumage…, l’usage des biens communaux…Ces  décisions sont prises lors de l’assemblée générale échevinage dans le Nord, jurade en Béarn…qui se réunit plusieurs fois par an.

     

    Lorsque s’opéraient les semailles , l’assemblée villageoise nommait un gardien –appelé « garde de la plaine «  ou « gardien des landes » à Mirepeix – afin que le finage soit respecté. Les soles nouvellement ensemencées étaient alors délimitées par des barrières mobiles ou fixes nommées « clèdes »notamment pour interdire l’accès au bétail jusqu’à la moisson. Cette action porte alors le nom de « veter » ou « better ». Le rôle du gardien était également d’empêcher les maraudeurs et les animaux nuisibles de sévir, il pouvait alors verbaliser. Pour ceux qui outrepassaient le règlement en laissant leurs animaux pénétrer dans « une lanne bettée » se voyaient contraints de payer le « droit de penhère », la saisie. Sa fonction était des plus ingrates vu que ces gens qu’il connaissait pouvaient lui en vouloir.

     

     

     

    Si les lanières de terre sont la propriété individuelle de paysans, elles sont réparties inégalement. Plusieurs d’entre eux sont en possession de quelques-unes.

     

     

     

    a-    L’araire et la charrue : généralités

     

         L’araire  est dépourvu d’avant-train roulant (appelé « aratrum » par les Romains), son usage s’effectue sur des sols nus ou peu  gazonnés. Des spécialistes actuels rejettent l’idée que l’on lit encore trop souvent à leur goût que  son principal défaut réside dans le fait qu’il ne creuse pas profondément le sillon et qu’il rejette sur les côtés la terre émiettée. 2

     

    Le soc est souvent en bois, parfois enrobé de métal pour éviter l’usure, pointu, de forme conique et est composé de trois parties. L’age est une pièce de bois de chêne ou d’orme  de forme cintrée s’assemblant dans ses parties inférieure et supérieure à la flèche – barre de saule ou d’ormeau servant à l’attelage. Dans la partie médiane de l’age , le coutre s’insère par le biais d’une mortaise.  Le mancheron (simple ou double) sert à l’homme à guider l’araire et le sep, porté par l’age, est l’élément qui pénètre la terre. Ces différentes pièces sont assemblées par le biais de tenons et de mortaises.

     

     

     

         A l’opposé, la charrue à roues  possède un soc dissymétrique (puisque tous les éléments sont du même côté de l’age), un versoir qui a pour fonctions à la fois d’enfouir les mauvaises herbes,  d’aérer la terre et de la rejeter d’un seul côté. Dans le Gers, le versoir est un  bois d’orme de figure trapézoïdale, avec le soc il est placé à quarante-cinq degrés. La charrue  possède un avant-train muni de roues régulant ainsi la largeur et la profondeur du sillon (remplacé actuellement par le tracteur), parfois d’une rasette afin de nettoyer le sol avant qu’il soit retourné, d’un coutre en fer qui pourfend la motte de terre. Elle est plus adaptée au sol gazonné, aux terres grasses et limoneuses.

     

    Afin de diriger l’instrument aratoire, le laboureur utilise deux moyens, le levier intégré  dans la mortaise de l’age et qui, dans sa partie postérieure présente un manche par lequel avec sa main droite le paysan conduit,  incline l’instrument et, également, le marche-pied inséré lui aussi dans la mortaise de l’age. Avec son pied gauche, l’homme peut enfoncer et diriger la charrue.

     

     Sinon, on est contraint d’utiliser les bras.

     

    Jusqu’au XVIIIe siècle, la culture à bras se maintient. Elle est présente aussi bien dans les vignobles mais aussi dans les zones de culture intensive.  Dans le Nord, en 1801, « 7 % des terres et des jardins sont encore labourés à bras » alors que la culture à bras est perçue comme « développée », 3 avec comme outils rudimentaires la houe par exemple. La faux (répandue à l’époque romaine et étendue au Moyen âge) est très utilisée dans le Nord de la France (utilisée en Flandre au XVIe siècle) mais s’est répandue lentement dans le reste du royaume. La faucille (« faus »  en Béarn) est employée ailleurs.  Elle scie les blés à une hauteur d’environ 60 cm du sol ce qui a l’avantage d’abandonner au bétail le chaume. Pour séparer l’enveloppe de la graine on use du fléau sur un espace dénommé aire (mais cela pose un problème pour les  journaliers qui lorsqu’on utilise la faux cela leur procure moins d’heures de travail et donc de salaire ; de plus, on use davantage de métal et on provoque une perte de grains et de pailles ). Le problème le plus grave est le peu d’importance du fumier. Ces pratiques archaïques occasionnent des rendements insuffisants, dans certaines régions on arrive à récolter 2 ou 3 grains pour 1 grain semé.

     

    En France, la production agricole dans son ensemble est davantage destinée à l’autoconsommation plutôt qu’à la vente ce qui explique que l’importance de la céréaliculture. Il ne faut point omettre que le pain est l’aliment de base du peuple et que de ce fait les autres productions paraissent moins importantes, on pense au lait, aux fruits…

     

    Bien entendu, la céréaliculture n’était pas totalement l’apanage de l’agriculture, les paysans soucieux de fournir des marchés s’adonnaient à d’autres cultures considérées comme alternatives comme la viticulture. George W. Grantham cite les chiffres de 2,3 millions d’individus en 1787 ce qui représente 8,2 % de la population totale .A cela, il faut ajouter les plantes qui servaient comme matières premières industrielles comme le lin…4 

     

    A côté de ces outils, on peut encore adjoindre la bêche, la fourche, le trident...et tous ceux spécialement conçus pour des tâches bien déterminées notamment dans le travail de la vigne...  

     

     

     

        L’élevage apparaît comme une activité dépendante de la culture puisque les bêtes servent soit pour tracter les outils agricoles soit pour produire du fumier ; en France, l’élevage, seul, est exercé dans quelques parties de la France.

     

     

     

        Dans le Béarn, pour labourer la terre dans le but de cultiver du maïs par exemple, il est nécessaire que la météorologie soit clémente et la terre favorable. Les travaux se feront le plus rapidement en raison des aléas climatiques, pour cela s’exerce une entraide, «  au tourne-fournàu ».

     

    L’outillage utilisé par les Béarnais est rudimentaire et peu onéreux.

     

    Le paysan utilise le coutre (« coudreya » ou « coudrédre »). C’est un fer, mince et large si possible, coupant la terre verticalement et qui a l’avantage d’extirper le sol des mauvaises herbes). Son usage consiste à permettre le soulèvement de la terre avec le soc et le versoir. En effet, on utilise ensuite l’araire (« aret », du latin « aratrum ») à manche-sep qui reste l’outil le plus utilisé au XVIIIe siècle (le mancheron et le sep ne forment qu’une seule pièce, le manche-sep s’avère plus mobile, moins lourd). L’araire et le coutre  sont séparés comme on le voit en Europe du sud et ce jusqu’au siècle dernier. Cet usage de deux instruments a d’ailleurs été critiqué par les agronomes au XIXe siècle. Il est tracté alors par des vaches ou alors par des bœufs, des mulets. Les femmes, les enfants sont sollicités pour  ramasser les galets encombrants ou les herbes arrachées.

     

    Ce type d’araire est fabriqué en bois, le soc (« bôme » ou « boumé », du latin « vomer ») est  effilé et comporte deux oreilles  de bois et est assujetti à un bâti de bois. Il permet de fendre alors horizontalement la terre. On a souvent critiqué cet instrument en montrant que le travail effectué par lui était loin d’être parfait. On a montré qu’il occasionnait aux animaux un surcroît de tirage.

     

    Voici ce qu’écrit Jean Poueigh en décrivant cet instrument : « L’ancienne charrue (arêt, araire) était en bois. Elle se compose du coutre (befèrri) , couteau qui fend la terre ; du soc (réio d’araire), la pièce importante ; du versoir ou oreille (escampadoùiro) ; du sep (aramoun, dentàau, souchàdo), pièce de bois qui porte le soc ; de l’age ou haie (cambèlo, ple ou pèd d’aràire) ; des manches ou mancherons (manipo, manitoun, estèvo), comprenant le timon et sa flèche (pèrti et bacègue), le palonnier (reinard), le petit coin de bois (cavaleirou) fixant à la flèche le tirant (tendilho). 5

     

    Si le passage de l’araire a lieu sur un terrain plat il se fait aisément, par contre, si une pente se présente, le travail devient particulièrement fatigant.

     

    Mais l’implantation du maïs a comme effet également d’accroître  l’importance de la charrue au détriment de l’araire. Ensuite, le paysan, afin de briser les mottes de terre, use d’un outil intitulé en béarnais « cleda ».

     

    L’araire ou la charrue, après leurs passages, laissent des imperfections comme, par exemple, des mottes de terre qu’on tente de disloquer avec la houe (« houssé »).

     

    Il peut herser également avec un instrument nommé « arrascle » composé de 16 fers de forme recourbée fixés sur un bâti en bois ou de trois dents mais plus rare. On brise les mottes aussi avec une claie de madriers nommée « cleda » , vu plus haut.  Ces madriers étaient parfois remplacés par des branches d’arbres tout simplement comme l’aubépine (« brocs »). Ce genre de herse ne permet pas d’obtenir un travail parfait au premier passage ce qui entraîne la nécessité de la repasser plusieurs fois. Il existe aussi un rouleau de bois nommé « lu rullew ».

     

    Marguerite Rambeau mentionne dans son mémoire une sorte de herse en bois qu’elle nomme « arraskle a baws ». Elle est « surmontée d’un arc « baws » en bois de noisetier « aberané ». Dix dents plates « lus herris », plantées dans les croisillons de bois « lus tabots », sont bloquées par des coins de bois « las herriséros ». Cet outil est trainé « arrusegat ; inf : arrusega » par une paire de bœufs « u pa de bwewa » ou plus souvent de vaches « bakos », au moyen d’une chaîne « kadeno » allant d’une annueau à crochet « la teladéro », mobile sur le devant de « l’arraskle », au crochet fixé sur le joug « lu yu » de l’attelage « lu parel ». 6

     

    Lors des travaux agricoles et notamment lors du labourage, Jean Poueigh nous rappelle que « le chant humain s’élevait de partout » et que pour « le travailleur au plein air, il était mieux, mieux qu’une distraction, un adjuvant qui facilitait sa tâche et l’allégeait » Il oubliait un temps la fatigue. « Fécondée par lui, la terre va pouvoir renaître et produire de nouveau : « Quand lou bouiè càanto, l’araire vàai bèn » (soit : Quand le bouvier chante, l’araire marche bien). Il rajoute que ce chant était « coupé par les pressants appels qu’il adresse aux animaux accouplés sous le joug ».7

     

     

     

         Peu de progrès dans l’outillage, on décèle seulement deux « nouveautés » en relation avec le  maïs : « ...lorsque le maïs avait levé il était éclairci avec un scarificateur (arrasclet) et enfin butté avec un araire léger, muni d’un fer plat en croissant (arasèra).

     

    L’arasclet est composé d’un coutre positionné en avant et de trois dents qui fendent la terre. Son usage est dévolu notamment dans l’entretien des interlignes du maïs. Marguerite Rambeau la décrit comme une « petite herse triangulaire » spécialement utilisée pour sarcler le maïs, en enlever les herbes. Une paire de vaches la tire par son timon attelée à un joug spécial, d’une longueur adaptée à la mesure de l’espace entre deux ou trois rangées de maïs. » 8

     

    Quant à l’arazère, c’est un instrument qui a une double tâche, celle d’éliminer les mauvaises herbes se trouvant dans le maïs et de butter ce dernier. On le surnomme d’ailleurs le butteur. On note son existence avant l’introduction du maïs dans le Béarn. Son  soc est plat et emmanché dans le sep.

     

     

     

    Introduit en Béarn au milieu du XVIIe siècle probablement, le labour du maïs se fait en deux étapes, comme cela a été vu plus haut on fend la terre avec le coutre et on la retourne avec l’araire. Si possible, on labourera le plus profondément.

     

    Après ce travail, on passa la herse et on marque afin de se repérer pour les semailles avec une traverse comportant plusieurs pales selon que l’on se trouve en plaine (quatre) ou en montagne (trois). On a soin de placer cet outil en formant des lignes transversales afin de constituer des croix où on déposera les graines.

     

     

     

    Autre outil en usage la bêche. Dralet écrit : « On prépare les terres en recevant la semence du millet par deux ou labours qui s’exécutent avec une charrue nommée arrayre ; mais quelques-unes de ces terres sont travaillées à la bêche et ensuite émottées. ... ». 9

     

    Des binages (« arades ») et des sarclages seront effectués avec la houe pour parfaire le travail.

     

     

     

     b-    Les semailles

     

     

     

          Puis, avant de semer, le paysan réalise des tracés les plus droits possible avec le « mercader » (traverse à trois ou quatre pales tirée par une vache, d’abord en long, puis en large) , enfin,  il passe aux semailles .

     

    Il a pris soin, au préalable, de plonger la semence dans de l’eau afin d’écarter toutes traces de résidus comme des graines de chardon  et de délimiter des bandes de terre de 5 à 10 m dans le champ sur sa longueur.

     

    Martine Rambeau nous cite des proverbes liés aux semailles, dont l’un préconise de les faire à la « vieille lune » lors d’un vendredi (« Ow düs de la lüo, k’ey bu heyt de semya, süstut se paso pow dibes »), un autre durant quinze jours précédant la Toussaint et quinze jours après (« Lu bu semya k’ey kinze diyos aban Marteru e kinze diyos apres »). 10

     

    L’action de semer des céréales, dans la langue béarnaise, diffère selon que le paysan sème du blé (« jeta ») ou du maïs (« pousa »).

     

    Afin de semer l’homme ou la femme qui utilise à cet effet soit un tissu (le plus souvent un tablier) soit un récipient. A la main, il ou elle  empoigne des graines que l’on  jette à la volée. Il sera nécessaire de revenir sur ses pas une seconde fois pour parfaire son travail.

     

    En ce qui concerne le maïs, avant de semer, on mélange des graines de maïs et des haricots grimpants blancs et des pépins de citrouille. De ces graines et de ces pépins, des plantes prendront  appui sur les tiges, d’autres se frayeront un passage et s’accroîtront en profitant de l’ombre des feuilles.

     

     

     

         Ensuite, ce sont les femmes qui interviennent puisque ce sont elles, portant leurs tabliers remplis de graines, qui les placent en marchant et en  les faisant tomber par trois ou quatre dans la « croutz » (marque réalisée par le mercader) , puis, elles repoussent la terre de leurs pieds afin de les recouvrir. Pour le dépiquage, les gerbes qui ont été attachées  le plus souvent par les femmes lors de la moisson (pendant les hommes coupaient) et qui ont été dressées en verticale sur le sol afin de sécher le plus vite car la pluie entraînerait forcément des conséquences préjudiciables, seront soit foulées par des juments soit battues par des perches de chêne ou de buis  ou des fléaux dans un endroit appelé « lo sou de la borde » soit une aire de la grange. Ensuite, il ne reste plus qu’à vanner, jeter les grains en l’air avec la « pale-cope » soit une pelle de forme creuse prononcée pour se défaire de la paille.

     

     

     

    On recourt ensuite à un hersage afin de niveler le terrain et de recouvrir les graines, ensuite on passe un tronc d’arbre faisant office de rouleau  par-dessus. Cette action a pour fonction d’améliorer le contact entre la terre et les graines. Cela doit être pratiqué lorsque le sol est sec sinon la terre et les graines adhéreront au rouleau. Si le poids du rouleau apparaît insuffisant, on pose des pierres par-dessus ou un enfant.

     

     

     

          Michel Carolo nous a dressé une étude d’instruments aratoires en Béarn à la fin du XVIIIe siècle à partir de la série Q des Archives départementales  provenant d’une liste de biens séquestrés d’individus lors de la Révolution. Dans sa conclusion, il constate que « Si les terres possédées par la Noblesse étaient de superficie plus vaste, notamment par la présence de bois, les terres labourables et les vignes demeuraient exploitées d’une manière identique à celle des autres ordres. Les grandes exploitations nobiliaires étaient divisées en métairies...Peu fortunée en Béarn et Pays Basque, la Noblesse ne se distinguait pas du Clergé et du tiers Etat sur les méthodes de culture et par là même sur l’utilisation aratoire qui reste le même. »

     

    Prenons l’exemple d’un propriétaire issu du de la noblesse, un dénommé Marc-Antoine Fanget, Garde du  Corps. Ses domaines s’étendent sur plusieurs communes : Thèze, Lème, Boueilh-Boueilho-Lasque, Pouriubes et Auga. La totalité correspond à 675 arpents soit approximativement 231 ha. Si l’on s’en tient aux terres situées à Thèze, elles correspondent quasiment à la moitié, soit 324 arpents. On peut les diviser en deux catégories, la première appartenant au faire-valoir direct et la seconde au système de la métairie sachant qu’elles sont au nombre de trois.

     

    Attardons-nous d’abord à la première catégorie représentant 139 arpents (47,5 ha). Sur cette dite surface, on ensemence du froment, du milloc et du linet (sur 34 arpents soit 11,5 ha).Pour entreposer le matériel agricole, on utilise une grange. Ce matériel comprend trois charrettes, un tombereau, deux herses et deux charrues. Les animaux de trait sont deux paires de bœufs. D’autres outils sont recensés, utilisés également pour travailler le jardin qui environne la maison) comme « trois arrazeres, trois coutres, une bêche pointue et trois petites bêches », certains sont en fer (scie, deux faux, quatre râteaux), d’autres sont en bois (râteau à deux branches). Le propriétaire détient une forge pour une réparation éventuelle. Pratiquant de la viticulture sur une surface de 13 arpents (environ 4,5 ha), le propriétaire possède « trois pressoirs, cinq comportes, huit cuves, un entonnoir de bois et 33 bois de barrique). En plus de tous ces biens, il faut ajouter d’autres animaux, un cheval, deux juments, quatre truies et deux cochons.

     

    Détenteur de trois métairies qui correspondent respectivement à 89 arpents (34,5 ha), 64 arpents (22 ha) et 32 arpents (11 ha), chacune comprend « une maison et une grange ». Nous analysons uniquement la métairie la plus importante celle qui porte le nom de « Bachot ». Comme matériel agricole, on dénombre une charrette, trois charrues et deux herses utilisées à la culture des 27 arpents (9 ha) de terres labourables. Une paire de bœufs permet de les tracter jointe à une paire de vaches, une génisse et une paire de veaux qui complètent son cheptel. « le petit matériel rassemble une arrazere, un râteau et une fourche de fer, deux petites bêches et un coutre ». 11

     

     

     

         Christian Desplat nous donne l’exemple d’un métayer vivant à Denguin situé sur la « ribeyre », zonne où « le matériel » était plutôt « plus abondant et plus diversifié, mais tout aussi simple et traditionnel... » Cet homme, métayer et vicaire, J. Loustau, était détenteur  d’une métairie « ...à Gélos et une autre à Bosdarros. Sur les 65 arpents de Bosdarros, 61 étaient labourables et la grange abondamment pourvue : deux charrues, six « trainoirs » (traineaux de bois), trois vaches et quatre veaux ; un coutre, deux « rasoirs avec leur fer », quatre bois d’arrazère, une fourche, un râteau à trois pointes de fer, trois fourches et deux râteaux en bois, deux hoyaux (ou houes) deux haches, trois bêches, une faux pour le foin (dalhe feassere ou dragou) , une autre pour le soutrage (dalhe sostrere) . L’existence d’un petit vignoble ou de pommiers, la pommade était boisson courante des paysans béarnais, est attestée par deux pressoirs, cinq cuves, cinq baquets à vendange et une barrique. » 12

     

     

     

    En montagne, l’outillage est encore plus rudimentaire, on utilise surtout la bêche, la fourche du fait des pentes abruptes.

     

    Les plantes que l’on sème au printemps, notamment en avril, sont la pomme de terre et l’orge, un mois plus tard, en mai, c’est au tour du maïs, des haricots…

     

    Pour les moissons, on persiste à utiliser  dans certaines parties du Béarn la faucille (haus) notamment autour de Garlin (permettant ainsi d’obtenir un chaume important en vue de la « dépaissance »  ou faire paître les bestiaux). Le bois prédomine encore dans la confection de l’outillage. Bien entendu  cela ne veut pas dire que des paysans ne possédaient pas des outils en fer tels des faux (pour la fenaison), des pelles. Le paysan bêche avec une houe, débroussaille les haies en usant d’un haut-volant. Le travail se pratique de manière collective vu qu’il reste exténuant et qui nécessite les bras de tout le monde même les enfants.

     

    Au fur et à mesure de la croissance des plantes, on raffermira les tiges fragiles  par un coup de pied ou un par un ajout de terre, ou alors en les tutorant par des rames.

     

    Le rendement, on s’en doute, est médiocre surtout en montagne excepté la vallée d’Ossau qui s’autosuffisait à l’opposé de la vallée d’Aspe qui ne couvrait l’équivalent de deux mois de ses besoins.

     

     

     

    c-    La moisson

     

     

     

         Le travail se fait essentiellement à la main, en utilisant également la faux ou la faucille. Cet outillage s’avère rudimentaire et peu coûteux.

     

    Lorsque le blé ou toute autre céréale est bien mûr, il est temps pour la famille de partir aux champs et de les couper. En règle générale, l’homme fauche, sa femme ramasse la javelle avec un râteau et les autres confectionnent les gerbes.

     

    La faux (« grip ») tenue par les hommes est composée également de grandes dents permettant de ratisser les tiges. Utilisée en Flandre – exactement en Hainaut - dès le XVIe siècle, elle s’introduit lentement en France.  On avance plusieurs causes à cela, d’abord d’ordre technique. Ce serait à l’époque qu’un instrument imparfait, en partie en raison d’une métallurgie déficiente, d’autre part le travail opéré s’avère harassant. Des causes économiques sont pointées, la faux égrènerait les épis du fait des brutales secousses du moissonneur, elle ne laisserait qu’un chaume relativement écourté pénalisant ceux qui jouissaient du droit de chaumage, en effet elle sectionne les tiges au ras du sol.

     

    Marguerite Rambeau nomme la faux « lu dragu » et la décrit comme un outil composé « d’un manche de bois « l’asto » auquel s’adjoint à mi-hauteur environ, un mancheron recourbé « l’espiwlu ». La lame « latozo » d’acier, légèrement bombée est bordée inférieurement par la partie tranchante « la hargwaüro », et du côté supérieur, par un bord très épais « la kosto » prolongée d’une sorte d’ergot « lu kwet » qui sert à fixer la lame à « l’asto » en s’enfonçant dans un anneau de fer « ü anet de her ». On l’y bloque par un coin « lu kuy » entre « l’anet » et « lu kwet » et forcé à coups de marteau « a cot de martet ». 13

     

    La même auteure nous dépeint le moissonneur entrain d’aiguiser sa faux le matin avant de  partir entreprendre son travail. Assis par terre, « il plante « la hargwo » sorte de pointe dont la tête plate et lisse sert d’enclume, munie d’oreillettes « awléros » à mi-hauteur pour éviter qu’elle ne s’enfonce trop. Il pose sur cette enclume la « hargwadüro » et entreprend de la frapper « trüka » à petits coups réguliers, pour aiguiser le fil « lu hiw » de la lame, avec un marteau « lu martet » de fer « de her » ». Sa tâche terminée, il a soin de porter sur lui « le coffin « lu kup » (empli d’eau « ple d’aygo » où baigne la pierre à aiguiser « la peyro » dont il se sert fréquemment pour aiguiser le fil émoussé de sa faux. » 14  La même auteure, en la comparant à la faucille, nous énumère les avantages : le moissonneur « ne se pique plus les doigts aux chardons « lus kardus » ni aux ronces « lus arruumeks  ou las arrumeros » qui serpentent souvent loin des haies. La paille recueillie est plus longue, le chaume est de hauteur régulière, et le travail va si vite ! ». 15

     

     

     

    La faucille (« haous ») est l’outil de la femme en général. Elle a l’avantage d’éviter l’égrenage (séparation du grain de la plante) et de couper (ou scier)  la tige à une hauteur suffisante pour être ramassée par les pauvres (à mi-hauteur, soit à environ 60 cm du sol) , ce que l’on nomme chaume.

     

    Martine Rambeau écrit que le travail fait à la faucille est  si fastidieux que les moissonneurs se rassemblent pour le faire. Tous opèrent les champs les uns après les autres. On nomme « ces occasions de s’entr’aider : « ha ayüdos ». 16, exemple même de la vie communautaire. Les moissonneurs débutent tôt, tous prennent chacun sa largeur de coupe « ü arrek e ö arbuho », et avancent « un peu en retrait du voisin pour avoir plus de place….sous le chapeau « debat lu sapew » s’étalent les grands mouchoirs quadrillés pour éponger la sueur « ta pumpa la südu », les uns sont en bras de chemise « en kamiso », les autres gardent la veste… Le moissonneur « lu segayre » prend les tiges « apuno inf : apüna », poignée par poignée, « las punetos », les tranche d’un coup sec de faucille, et, en un geste large et arrondi de la main droite qui tient la faucille, il couche en ligne la succession régulière de ces « pünetos » qui s’appelle « lu garbere ». 17  

     

    A la suite de l’usage des deux instruments, l’éteule (ce chaume laissé sur place) était laissée à la disposition des pauvres mais aussi des cochons et de la volaille.

     

    Les gerbes sont liées avec des tiges de blé puis on aura soin de les mettre à l’abri le plus rapidement possible vu que le climat pluvieux qui prévaut en Béarn pourrait compromettre la moisson. Les javelles (ou brassées d’épis moissonnés, non ramassés afin de laisser mûrir) ne sont pas permises.

     

    Le travail se pratiquait en chantant, les chansons se composaient de poésies narratives comme le précise Jean Poueigh. Selon lui, le « romancero des moissonneurs semble en être redevable à l’importance vitale du blé, en tant qu’aliment... ». 18

     

    Selon les années, la moisson a lieu à la fin du mois de juin, en même temps que la fenaison. Jean-Marc Moriceau écrit qu’ « une fois les herbages fauchés, l’ordre des récoltes voulait que les moissonneurs...commencent par les céréales d’hiver et terminent par celles de printemps (« les mars »).

     

    Ici comme le rappelle Jean-Marc Moriceau « ...nulle tâche que les « métives » ne créait davantage de tension dans la France de l’Ancien Régime. Les convoitises des voisins ou des pauvres qui bénéficiaient des droits de « glanage »(ramasser les épis tombés à terre) et de « chaumage » (couper les chaumes résiduels laissés dans les éteules)... les intérêts contradictoires entre les exploitants individuels et la communauté rurale, l’opposition entre les deux types de main-d’œuvre , locale et foraine, multipliaient les incidents. » 19  

     

    Durant la moisson, parmi les travailleurs, les jeunes profitent souvent de l’occasion pour s’amuser surtout après le souper. Mais c’est le dernier jour qu’a lieu la fête que certains propriétaires offrent aux ouvriers agricoles, elle consiste en un repas et des danses.

     

    Lorsque la moisson s’achève, on met en gerbes le blé durant quelques heures afin que la chaleur du soleil les sèche. Vient alors le prélèvement des taxes, la dîme ecclésiastique, le champart qui venait après. Les glaneurs accouraient ensuite. Mais afin d’honorer le contrat de métayage, le métayer se devait avant tout de réserver la part de la récolte au propriétaire, en général la moitié. Enfin, les fêtes villageoises marquent la fin des moissons.

     

     

     

    d-    Le dépiquage

     

     

     

         Le fléau (« layetch » ou » ehlayet ») est l’un des outils utilisés pour dépiquer le blé. Il est constitué d’une gaule fixée au manche par des lanières de cuir pour leur donner du jeu . Selon les régions, les deux bâtons peuvent varier de taille.  Marguerite Rambeau le décrit comme un outil composé d’un « manche « lu matye » en bois de noisetier « aberane » et d’un battoir plus court « la bergo » en bois de houx « agrew » ou d enéflier « mesplé ». Celui-ci doit subir un traitement spécial : cueilli à la Saint-Martin il est grillé à four chaud « üsklat », dépouillé de son écorce « la pet » puis laissé dans le fumier pendant quelques heures. Le bois devient rouge et beaucoup plus solide, paraît-il. Les deux éléments « matye e bergo » sont coiffés de deux bandes de peau d’anguille « pet d’andyelo » = « lus kapets » cousues avec des nerfs de bœuf « nerbis de bwew ». Ces deux bandes sont reliées entre elles par un anneau de peau d’anguille également « lu kuzene ». »

     

    Si le manche est long et  le fléau court, ce dernier peut asséner un coup plus fort. Dans le cas contraire, il frappe une surface plus importante. Quoi qu’il en soit, le fléau  tournoie et voltige  avant  de frapper les épis.  La gerbe est alors posée sur le sol, l’épi positionné vers le haut. Si le travail se fait à plusieurs, les individus se mettent en rond autour de la gerbe et ils abattent leurs fléaux à tour de rôle.

     

    On peut également seulement user d’une longue perche de bois de buis ou de chêne.

     

    Albert Soboul écrit que le battage au fléau, selon lui, découle du besoin de conserver la paille « en raison de sa longueur et de son liant aptes à de multiples usages… ».  Vu que les paysans couchaient à plat les gerbes déliées, « les épis des unes reposant sur l’extrémité des autres : les coups de fléau ainsi amortis, la paille restait entière. » 20

     

    Ensuite, on jette en l’air (surtout un vent en provenance du sud-ouest) le blé battu ce qui a pour effet de retirer les balles. Pour cela on utilise une fourche, si possible de bois léger. Marguerite Rambeau indique que  les fourches « las hurkos » possèdent généralement trois oi quatre pointes , que leur « manche « mandye » est plus ou moins long, suivant la hauteur duy chargement des chars de blé que le propriétaire a l’habitude d’atteindre. Car elles servent surtout à « garbeya » c'est-à-dire à faire passer les gerbes sur le char. » 21

     

    On peut disposer sur le sol de l’aire un tissu, un drap, pour réceptionner  le grain alors que les balles sont emportées sur la marge.

     

    Un autre moyen de dépiquer le blé est son piétinement par des animaux, des vaches, des bœufs, des mulets et des chevaux. Quelqu’un, souvent une femme en Béarn, guide, à partir du centre de l’aire, ces bêtes par une corde et les font trottiner en rond. Il suffit de réduire la corde  pour raccourcir le cercle. Les hommes au fur et à mesure du travail alimentent l’aire et poussent sous les pieds des animaux la paille non encore brisée. On prend soin de boucher les yeux des animaux avec du linge par exemple afin notamment d’éviter les étourdissements du fait des cercles qu’ils opèrent durant de longues heures parfois sous un soleil accablant en été.

     

    Le dépiquage ne peut  guère se réaliser pour le seigle vu que la graine  a davantage de difficulté à sortir de la balle

     

    Le travail peut se pratiquer à l’abri, dans une grange – permettant de battre  en hiver -, ou dehors, dans la cour ou dans un terrain où on a pris soin de balayer au préalable. L’aire doit être, selon Pierre-Joseph Amoreux, médecin et bibliothécaire de la faculté de médecine de Montpellier : «…plane, unie, nette d’herbes, de pierres & et de toutes ordures. ». De plus, elle doit être aussi  exempte d’herbes. Dans son mémoire de la Société royale d’agriculture de Paris daté de printemps 1789, ce même auteur  conseille, dans le cas  où cette étendue ne correspondrait pas à ces critères,  c'est-à-dire : « peu propre à présenter une surface unie, compacte & non poudreuse … » de répandre «  dessus de l’argile fine, ou toute terre grasse , dont on forme une couche en l’humectant, en le battant & en la piétinant ; la solidité de l’aire est un point essentiel qui rend le travail plus expéditif & le grain plus net. » Il précise que « Chaque an, l’aire se couvre d’herbes, qu’on fauche, on ne la laboure point, elle s’affermit toujours plus. » 22

     

    Marguerite Rambeau écrit que le battage (la batero) se pratique sur le sol de la cour de la maison. Afin d’empêcher que le grain se joint aux cailloux  ou se plante dans la terre , « dans une comporte de bois, (la semaw)  on délaie de la bouse de vache (hemso de bako) ou (bwaso), avec de l’eau (aygo), en tournant avec un bâton (ü barrot). Lorsque le mélange est homogène, on le verse sur le sol et on égalise avec le balai de bruyère (üo eskubo de brano). Cela s’appelle « lya lu par ». En séchant au soleil « en sekan aw su » ceci devient dur comme de la pierre. Mais il faut recommencer l’opération après chaque pluie.

     

     Dans la cour ainsi transformée en aire on apporte (ke porton-inf : purta) alors les gerbes, on les délie « ke dehligon – inf : dehliga » et on étale « k’estenin – inf : estene » la paille à battre par couches « a palats ». Puis à l’ardeur du soleil « aw tenilet », armés de fléaux « ehlayets », les batteurs habituellement quatre par quatre, frappent en cadence « ke merkon laposto » les épis « lus kabels » à égrener « dehglara ». le sifflement « lu brunide – inf : bruni » des battoirs ne cesse qu’au coucher du soleil. Travail pénible qui laisse les ouvriers haletants « pantuhaes » et les « flaks ». Pour compléter le travail du fléau, on attelle ensuite une paire de vaches à une sorte de petit char qui s’appelle « lu tumbarow » et on fait circuler cet attelage sur l’aire. Une personne juchée « arpitado » - inf : arpita »  sur le véhicule, tient prête « paro ou emparo dab… » « la palo-kupo » pour recueillir les excréments « la hemso e lu pis » des animaux dès qu’ils font mine de lever la queue car il faut préserver le grain et la paille de toute souillure…. « Palat per palat » : par épaisseurs successives, on retourne la paille et on recommence au fléau et à l’attelage à battre le blé, toujours par grande chaleur. Ce travail achevé, on enlève la paille, on l’empile de côté « apyela-lo a par ». On ramasse grain et balle « lu grae e lu pup » en vrac à l’endroit propice à la ventilation, c’est-à-dire dans un courant d’air. » 23

     

     

     

         L’abbé Rozier énumère d’autres procédés pratiqués dans des régions comme celui de bien niveler et de battre le sol, de délayer de la fiente de vache avec de l’eau et de répandre cette dernière avec des balais.

     

    Ce dernier a étudié  les avantages et les inconvénients du battage et du dépiquage et se démarque alors du précédent, M. Amoreux, qui préfère l’usage du fléau.

     

    L’abbé Rozier  écrit 24: « Le dépiquage laisse beaucoup plus de grains dans l’épi que le battage ; c’est un fait constant, sur-tout dans les années pluvieuses, & lorsque le grain n’est pas totalement sec & bien nourri….Un second avantage du fléau résulte de la facilité avec laquelle on sépare la paille entière du grain & et de la balle ; au lieu qu’après le dépiquage, il faut manier deux ou trois fois à la fourche la même paille. » Il poursuit en affirmant que le battage conserve la paille « dans son entier » tandis que l’utilisation des animaux « la réduit en petits brins ». Dans l’article intitulé froment, il mentionne « …que pour la même somme d’argent, les mules ou chevaux accéléroient beaucoup plus le travail & même d’un tiers, objet très important…Somme totale, le battage au fléau est plus économique, & le dépiquage plus expéditif… » De plus, pour lui les animaux occupés lors du dépiquage ne sont pas utilisés pour d’autres tâches comme le labourage.25  Il expose également des causes sociales, le dépiquage permet de battre l’hiver, tems auquel les travailleurs sont moins occupés dans les pays où il y a peu ou point de vignobles à façonner. » 26

     

     

     

        La paille, écrit Marguerite Rambeau, est disposée en « vrac, « dezwado » ou grossièrement liée en gerbes « garbots » on l’empile autour d’un mât « la brüko » planté dans le sol. La pile doit avoir l’aspect d’une poire, très mince en bas et en haut. Lorsque la paille arrive à un mètre du haut de « la brüko » on la couvre avec « lus palus » : paquets de balles grossièrement rassemblés, puis des paquets de liens de seigle particulièrement imperméables. Quelquefois, un lourd cercle de barrique empêche le vent d’emporter ce chapeau « preme : maintenir appuyant ». Tout en haut du mât « aw bet sum de la brüko » on renverse un pot ventru « ü tupi », ou une cruche « ü tarras » sans anse pour empêcher l’eau de pluie de glisser le long du bois du mât et de pourrir l’intérieur de l’édifice de paille. » 27

     

     

     

    e-    L’engrais

     

        

     

         Dans la partie concernant l’outillage, il a été écrit que la jachère  consiste à laisser en repos une terre pour qu’elle puisse reconstituer ses éléments fertilisants. Elle est utilisée notamment lors de la division des terres en soles soit dans l’assolement biennal ou l’assolement triennal.  Pendant longtemps, la jachère a été pointée du doigt comme une pratique archaïque. Jean-Marc  Moriceau écrit qu’elle ne clôture pas « le cycle des façons culturales…La réévaluation est d’autant plus nécessaire que les historiens, à la suite des écrivains agronomes du XVIIIe siècle , considèrent souvent l’année culturale préparatoire comme une marque infamante d’archaïsme…la jachère aurait constitué un mal nécessaire de l’économie rurale, le verrou d’un cercle vicieux en attendant la libération ouverte par les prairies artificielles. » Il rappelle les travaux de François Sigaut qui a bien distingué la friche de la jachère et montré que cette dernière s’effectue en début d’assolement.

     

    En ce qui concerne l’assolement biennal, appliquée dans  le Béarn, « se situe souvent dans des zones dominées par les friches, dans des régions où les procédés d’agriculture par le feu (écobuage et essartage) et le simple prélèvement du gazon (étrépage et soutrage) viennent « rompre » pour quelques années de production des pâtis qui retournent pour de longues années à la lande ou à la fiche. » Il ajoute qu’avec  ce type d’assolement il est nécessaire d’user de fumure « proportionnellement supérieure au triennal puisque l’estiado occupe la moitié des terres emblavées. » Ce qui entraîne « l’importance des saltus nécessaires à la production des engrais. » 28

     

    F. Sigaut s’érige en faux dans l’affirmation que l’assolement triennal est supérieur à l’assolement biennal , selon lui les céréales de printemps sont d’un apport moindre si on la compare au blé d’hiver , chaque année. Il est d’avis que les deux se valent.

     

    Les servitudes communautaires sont plus importantes dans les zones d’assolement triennal que dans celles d’assolement biennal.

     

     

     

     

     

         Voici quelques études d’écrivains agronomes du XVIIIe siècle au sujet de la jachère.

     

    D’abord, citons J.J.  Menuret, docteur en médecine.29  Il est en possession d’une propriété de deux cents arpents dans une plaine aride,  composée d’une argile rouge. S’il reconnait que la culture était facile, il constate que « le produit en était bien faible », ne récoltant que de l’épeautre et du seigle. «…les épis minces, courts & rares donnaient peu de paille & de grain ; le fumier qu’on pouvait répandre en petite quantité sur le terrain, le brûlait plus qu’il ne le fécondait ; il fallait souvent redoubler les années de jachère pour obtenir une récolte passable… ». 30 D’où son idée de planter du sainfoin, de la famille des légumineuses utilisée à former des prairies artificielles. Il le fait au printemps et  obtient en automne une « seconde poussée, qui dans quelques endroits, prêta à la faulx, dans d’autres servi à faire paître les bœufs ; on le laissa subsister une seconde année ; le fourrage fut encore plus abondant, le regain fut renversé & enterré par un labour profond, le terrain ensemencé après un nouveau travail…    » Il note que les « Grangers-Métayers » sont alors intéressés. Il continue à entreprendre des essais et sème avec du sainfoin  du blé, du seigle, de l’orge, de l’avoine et du sarrasin. Il rappelle que les Comices Agricoles louent l’utilité des prairies artificielles et notamment le sainfoin comme fourrage. Il note que cette plante a le don d’écarter les mauvaises herbes et les plantes parasites mais aussi d’accroître la fécondité du sol, en favorisant « l’emploi et l’utilité des fumiers ».

     

    Puis citons le marquis de Guerchy. 31 Il écrit que les deux préjugés à combattre pour le « succès de l’Agriculture » dans le pays sont : « la suppression des jachères & l’éducation des  bêtes à laines en plein air. » Il remarque que ces conseils sont peu suivis à l’intérieur du royaume. Il espère que la Société royale d’agriculture de Paris fera le nécessaire afin de diffuser l’information.

     

     

     

     

     

         L’engrais pose problème. Celui d’origine humaine est peu utilisé, s’il est récupéré pour enrichir la terre des cultures maraîchères notamment autour de certaines villes, comme à Laval, ce n’est pas la règle commune. On se tourne davantage vers l’usage des excréments animaux mais se pose alors le délicat problème de sa rareté.

     

    La fumure est réservée en règle générale pour les terres proches du village. En montagne, les ovins laissés sur les champs dans l’intention de les nourrir et de fertiliser le sol ne suffisaient pas. « On devait, panier en main, parcourir les pacages pour ramasser bouses et crottin. Stocké, ce fumier était sorti en décembre et janvier avec celui, fort pauvre, des étables et des bergeries, puis épandu les mois suivants sur les champs et les prairies. » 32

     

          Le marnage est pratiqué, on s’en procure auprès des carrières, les marnières, il est important car il permet de bonifier la terre en neutralisant l’acidité du sol. A Gomer, par exemple, le Corps de Ville, en 1756, accepte de partager une part du bois communal à la condition expresse que les villageois de la commune puissent extraire de la marne. 33 Autres engrais utilisés, la tuie (touya ) qui correspond à un mélange de fougères, d’ajoncs et de graminées que l’on trouve sur la lande propre au climat océanique et qu’on s’en sert comme litière pour le bétail notamment durant la saison froide et qu’on utilise ensuite pour enrichir la terre que l’on cultive au printemps,  la cendre recueillie des maisons mais on se doute bien qu’elle se révélait insuffisante .

     

    Le fumier est transporté par des tombereaux.

     

         L’écobuage , qu’il ne faut pas confondre avec brûlis, consiste à extraire la couche superficielle du sol au printemps à la houe ou à la pioche , à utiliser les mottes de terre gazonnée que l’on a mise à sécher aux mois de juillet et d’août  dans le but de réaliser des fourneaux de combustion circulaires le plus généralement , et, enfin, à utiliser la cendre obtenue comme engrais en l’épandant dans les champs avec une pelle .34

     

     

     

        Afin d’illustrer cette analyse sur l’engrais, citons Jean Lassansaa qui s’est penché  notamment dans sa monographie sur Billère sur son usage. Il mentionne qu’on y pratiquait durant longtemps  pour enrichir la terre l’enfouissement de la paille, du chaume, de la cendre, des déchets de légumineuses. Il rajoute aussi qu’on utilisait l’engrais d’animal, de la marne et de la jachère dans le cadre l’assolement biennal « faute de bons amendements ce qui, selon lui, est un « signe et facteur de pauvreté. » Puis, à partir du règne de Louis XIV on mêle de plus en plus, avec « le fumier des troupeaux » la « litière faite de touyas que l’on allait chercher surtout dans le  Pont-Long (formés d’ajoncs, de fougères, de genêts et de bruyères. Chaque paysan essaya d’avoir sa fougeraie et sa touya. Il rajoute qu’on usa de « prairies artificielles » soit des « champs ensemencés en légumineuses, trèfle, luzerne, sainfoin, vesce, etc » ce qui porta « un coup mortel aux vieux usages agraires. » 35

     

     

     

     

     

     Pour terminer, sur la partie traitée, on laboure, on herse et on sème. Outre l’engrais procuré par ce procédé, ce dernier permettait également d’éliminer les mauvaises herbes, les parasites mais aussi, dans les terres acides, argileuses en modifiant la constitution physique du sol. 34

     

     

     

     

     

          f-   La relation homme- outils - animaux domestiques dépend aussi de l’étendue travaillée.

     

    Il est nécessaire de distinguer, en effet, les jardins des prairies et des champs. Dans le premier cas, le travail se fait à la bêche, à la houe, il se trouve non loin du domicile, on l’enrichit davantage en engrais en rapport avec les champs. On l’appelle « la culture à bras ». Les nécessités peuvent également pousser le paysan à la pratiquer en montagne lorsque les pentes sont trop abruptes, sur les hautes terres,  pour l’usage de l’attelage.  Puis viennent les prairies et les champs, dans certaines régions françaises comme la Normandie, la primauté des premières est certaine. Dans la dernière catégorie, on cultive des plantes connues ou « nouvelles » avec des outils liés aux animaux domestiques.  

     

     

     

    Pour pallier cette faiblesse des engrais et notamment à celle des prairies, des landes ou forêts (ce que l’on nomme saltus), la communauté depuis longtemps a cherché à imposer des obligations- les pratiques communautaires- comme de moissonner, faner à la même date et en même temps, mais aussi la vaine pâture. Le terroir de la paroisse était alors morcelé si on pratiquait l’assolement triennal en trois soles dédiées l’une aux céréales d’hiver (que l’on sème en automne afin qu’ils germent comme le blé ou le seigle  et que l’on récoltera en début d’été, juin ou juillet ) , l’autre aux céréales de printemps (ne  supportant pas l’hiver ,que l’on sème au mois de mars et que l’on récoltera en juillet comme l’avoine ou l’orge) et enfin la dernière destinée à la jachère ou le repos (pour que la terre puisse se régénérer), les agriculteurs faisaient tourner les cultures (rotation ). Le paysan devait obligatoirement détenir des parcelles dans les trois soles.

     

    Guillaume Daudin  36 écrit que le fait de passer de l’assolement biennal à l’assolement triennal « même s’il faisait reculer la jachère…n’était pas …un « bonus » sans coût ».Pour lui c’était un « moyen d’économiser sur la terre en tant que facteur de production au prix d’une utilisation plus intensive du facteur de production humain. » 

     

     

     

    Les animaux gardés par le berger de la communauté venaient paître sur le quartier-jachère mais également dans les deux autres soles après avoir terminé la récolte. L’assolement triennal était davantage utilisé dans le Nord et l’Est de la France dans le paysage d’openfield (champs ouverts en lanières, c’est le domaine de la grande culture céréalière) où l’habitat est groupé, sinon, on usait de la pratique de l’assolement biennal (blé d’hiver et jachère). L’habitat était davantage dispersé dans l’ouest de la France où les champs étaient par contre clôturés – le fameux bocage avec un bétail plus important-  tandis que dans le Sud  on retrouvait un habitat groupé mais avec des champs moins réguliers, où les jardins et les arbres fruitiers

     

    s’additionnent à la vigne, l’olivier, le blé en relation avec l’application de l’assolement biennal. En Aquitaine, l’assolement biennal concerne le maïs et le blé.

     

     

     

    f-     Le foin

     

     

     

         A côté de la culture des céréales, il y a les prairies.

     

    Le climat océanique qui règne en Béarn est propice à  la croissance de l’herbe. De plus, le relief montagneux avec ses pentes souvent abruptes ne favorise pas le développement de cultures.

     

    Ce que l’on appelle la fenaison correspond à trois étapes, la coupe, le fanage et la récolte du fourrage.

     

    La coupe du foin a lieu généralement au printemps et au début de l’été, c’est-à-dire à partir du mois de mai jusqu’au mois de juillet.

     

    On fauche le foin (« feeas ») à la faux (« dailhe ») excepté  en montagne où il est nécessaire d’utiliser la faucille vu que les près sont localisés sur des pentes abruptes et qu’ils sont  souvent de petites superficies.

     

    La fauchaison, en montagne, se déroule à des périodes différentes ceci en raison de l’exposition des prés à l’ensoleillement.

     

    La fenaison si elle était une opération relativement éreintante l’était d’autant plus en montagne. Jean-François Soulet nous décrit ces femmes des vallées d’Aspe et d’Ossau qui « dès trois ou quatre heures du matin, maniant la « dailhe » sur d’étroits replats , ne s’accordant un temps de repos que pour éponger leur front ou chercher dans le coffin la pierre à affûter...Le foin...après avoir été étendu, retourné , mis en tas, doit être porté jusqu’à la « borde » la plus proche. » 37

     

    Jean Poueigh nous restitue très bien le déroulé de la fenaison : « ...la ligne des faucheurs (lous dalhaires) étage de biais ses échelons ascendants. Elle se meut avec une régularité symétrique, commandée par l’impulsion de celui qui a pris la tête et que les autres ont à distance successivement imitée. Partis d’un bout, tous abattent horizontalement leur rangée, andain après andain (andan, andaiàdo de fèn), d’un courbe et uniforme enveloppement de la faux (dàio, dalh ou dàlho), inlassablement répété jusqu’à l’extrémité opposée. Car ils n’avancent pas droit devant eux, comme le laboureur, mais de côté, à la manière des crabes, sans hâte, le corps se ployant à demi en oscillations balancées  de droite à gauche sur les jambes arquées. Par intervalles assez rapprochées, l’un d’entre eux s’arrête, se redresse, saisit dans l’étui de bois (ou la corne de bœuf) -lou coier, coudié, coudié, cup, cousso-cubét,  pendu à sa ceinture, la pierre à aiguiser - l’asugadouire ou pèiro à dàio, etr affute dextrement le fil émoussé de sa lame, opération qui se traduit par amoula, asuga, harga la dàlho. » 38

     

    Le même auteur mentionne que les chants de fenaison se nomment cantes ou cansous dalhaires.

     

    Lorsque les pentes dans les vallées béarnaises sont trop abruptes, le faucheur est contraint de s’attacher à l’aide d’une corde soit à un arbre soit à la confier à quelqu’un d’autre. Le foin coupé doit ensuite être transporté par dos d’homme à la grange. Pour la facilité de la manœuvre il attache les herbes fauchées soit par des liens d’osier tordus (armerous) soit par des « cordages qui terminent des crochets spéciaux soumètes, ariès), faits de morceaux de bois, courts et plat, mais assez épais pour résister à la traction, et percés de deux trous dans lesquels passent les cordes ou les liens, que l’on tend alors et dont on fixe les bouts au moyen de nœuds. » 39

     

    Jean-François Soulet nous cite une technique utilisée en vallée d’Ossau. L’Ossalois « amasse le foin dans une vaste toile, appelée « leytère »...dont les bouts sont noués entre eux, et porte ce fardeau sur la tête ». Le même auteur fait également référence à l’ « arria » ou la « saumette », « instrument très simple, ayant pour base un cadre de bois sur lequel est placé perpendiculairement un étrier ; au sommet de celui-ci, un pieu relié à une corde permet d’arrimer une grosse quantité de foin. Un seul homme peut ainsi porter cinquante à quatre-vingts kg de fourrage jusqu’à la grange ». 40

     

    Dans  les zones où le relief est  trop contraignant, des bâtiments ont été construits, les bordes. Ce sont des granges proches des prairies, des planches de bois de châtaignier (véritable répulsif d’insectes) servent de plancher à l’étage, s’il existe, qui sert de dépôt du foin. Ces bordes sont « spécialisées » vu que le fourrage contenu dépend des bêtes qui peuvent y pénétrer et s’alimenter. Le paysan déposait le fourrage à travers l’ouverture qui se trouvait soit au niveau du sol ou à l’étage qu’il escaladait à l’aide d’une échelle.

     

     L’OUTILLAGE  AGRICOLE ET LES MOYENS DE TRANSPORT AGRICOLES EN FRANCE  ET EN BEARN AU XVIIIe SIECLE

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Borde près de Sarrance.

    Si jusqu’au XVIe siècle, le matériau de prédilection est le bois, il disparaît ensuite au profit du pisé et des galets roulés ensuite.

     

     L’OUTILLAGE  AGRICOLE ET LES MOYENS DE TRANSPORT AGRICOLES EN FRANCE  ET EN BEARN AU XVIIIe SIECLE

     

     

    Borde en ruine près de Sarrance.

     

     

    Le foin, ensuite, doit être étalé. Ce travail est le plus souvent confié aux femmes et aux enfants. Ensuite vient l’opération consistant à faner ou retourner le foin  à la fourche (« bira ») pour que le soleil l’assèche. Ce  travail se pratiquera le long de la journée à l’aide du râteau  (« arrastère ») ou de la fourche (« hourque »). Sec, le foin est  ramassé afin d’obtenir des bottes puis transporté dans une borde ou grange. La famille est là, tout le monde connaît le travail qu’il doit faire, si l’homme fauche, la femme use de son râteau  pour assembler des tas. Puis, il y a ceux qui s’affairent en liant les gerbes en utilisant des cordons de paille. 

     

    La fauchaison était plus facile lorsque l’herbe était humide ce qui explique qu’elle se pratiquait soit à l’aube soit  le soir.

     

    Pour le transport, en plaine, on utilise la charrette à quatre roues (ou « bros ») munie de ridelles droites. Les roues cerclées de fer sont l’exception. Les deux bœufs ou vaches étaient protégés des mouches par un tissu. Quant les pentes sont trop raides comme en montagne on utilise des chariots conçus à cet effet. En effet, leurs roues sont réalisées de telle façon qu’elles évitent les dérapages grâce à des roues cloutées pour bien adhérer au sol. Si la pente est trop abrupte, on utilise l’âne pour transporter par exemple le fourrage, à cette fin on pose sur lui des paniers d’osier. Si cela s’avère impossible, l’homme doit se contraindre à user que de sa force physique, il « amasse le foin dans une vaste toile, appelée « leytère » en vallée d’Ossau, dont les bouts sont noués entre eux et porte ce fardeau sur sa tête... » ou alors il prend « l’arria » ou la « saumette » « instrument très simple, ayant pour base un cadre en bois sur lequel est placé perpendiculairement un étrier ; au sommet de celui-ci, un pieu relié à une corde permet d’arrimer une grosse quantité de foin...cinquante à quatre-vingts kg de fourrage » et de porter «  jusqu’à la grange ». 41

     

     

     

         Le rythme des travaux comme nous le rappelle Jean-François Soulet « s’accélérait d’une manière presque insoutenable : récolte, mise en tas, liage et transport de l’orge ; récolte des pois et des haricots ; fauchaison, fenaison et transport des regains ; récolte et dépiquage du millet et du sarrasin ; préparation des bottes de paille (« les saumants ») pour les couvertures. » 42

     

     

     

         Ces outils sont utilisés bien entendu selon le rythme des saisons, véritable calendrier agricole. Pour donner un aperçu voici celui de la région toulousaine, proche du Béarn. Au mois de janvier, c’est l’époque du labourage des céréales (le maïs comme en Béarn) ; au mois de février , on sème l’orge , l’avoine , on s’occupe de planter les arbres ; aux mois de mars et avril , on laboure à nouveau les champs de blé et la vigne, on sème le maïs ; aux mois de mai et de juin, on laboure encore les terres à blé (afin notamment d’éliminer les mauvaises herbes) , on sarcle le maïs ; au mois de juillet , c’est la fenaison et la moisson ; au mois d’août , on procède au dépiquage , on laboure à nouveau, c’est aussi la période de la fumure ; au mois de septembre ,on procède de nouveau au labourage des champs de blé , on récolte le maïs, on vendange ; au mois d’octobre , on stocke le maïs, on sème le blé, l’avoine ...; au mois de novembre, on laisse reposer la terre et, enfin, au mois de décembre , on plante à nouveau des arbres  et on laboure les terres à maïs.43  

     

     

     

     

     

         En règle générale, dans le royaume de France, on sème les céréales d’hiver à l’automne. Ces « bleds » (nom donné à toutes les céréales) correspondent au froment, au méteil (froment mêlé de seigle). Ensuite, les céréales de printemps sont semées le plus souvent au mois de mars (on les surnomme d’ailleurs les « mars »),  on trouve l’avoine, l’orge, le millet.

     

    En Béarn, le froment (« forment) est semé à la Toussaint, à la Noël c’est l’avoine (« civade »), alors que le millet (« milh ») plutôt à la Saint-Jean.

     

    La fenaison si elle était une opération relativement éreintante l’était d’autant plus en montagne. Jean-François Soulet nous décrit ces femmes des vallées d’Aspe et d’Ossau qui « dès trois ou quatre heures du matin, maniant la « dailhe » sur d’étroits replats , ne s’accordant un temps de repos que pour éponger leur front ou chercher dans le coffin la pierre à affûter...Le foin...après avoir été étendu, retourné , mis en tas, doit être porté jusqu’à la « borde » la plus proche. » 40

     

     

     

         Dans les montagnes pyrénéennes, Christian Desplat nous décrit l’année agraire appliquée en Bigorre mais que l’on peut transposer en Béarn dans nos vallées. La saison des travaux agricoles débute à la Saint-Martin, en novembre, lorsque la transhumance s’achève et que les ovins descendent des estives. Les « foires se multiplient : c’est le temps des fermages, celui pendant lequel l’argent circule ». On ramasse les châtaignes. Entre  les mois d’octobre et de février, les jours raccourcissent, on s’affaire autour du cochon. Puis à partir du mois de février, les travaux agricoles reprennent notamment avec « la montée des brebis aux estives en avril, foins en mai-juin, céréales en juillet…Ce calendrier, qui réglait le travail dans le temps, correspondait aussi à une maîtrise de l’espace modulée par la composition du terroir. » 44

     

     

     

    Tous ces outils, les labours et les semailles finies en automne et l’hiver s’instaurant, le paysan prendra soin de les  réparer, de les entretenir. Ceci jusqu’à l’arrivée du printemps, saison où toute l’activité agricole renaîtra. 

     

     

     

    h- Autres outils à main pour travailler la terre :

     

    -       La bêche (ou Lou paloun)  est un instrument composé d’une partie de fer large

     

     d’une vingtaine de centimètres et d’une longueur d’environ trente centimètres. La douille insère un manche d’une longueur de 1 mètre environ. Un hoche-pied permet au paysan d’enfoncer l’instrument dans la terre en y posant son pied. Son usage consiste à retourner la terre et à la fendre verticalement.

     

     

     

    -       La houe (ou  houssero)  a une forme rectangulaire mesurant  une trentaine de centimètres en longueur sur une vingtaine de centimètres en largeur. D’un côté, un tranchant  et de l’autre une partie percée pour insérer le manche. Cet outil sert à remuer la terre précédemment travaillée ou à déchausser la vigne.

     

    -       Le râteau (ou arrastet) est un outil fait d’une traverse de bois armée de dents de bois ou de fers et muni d’un manche de bois. Il sert à ramasser le chaume après la moisson et à donner une forme arrondie aux sillons après avoir amassé les tas de terres.

     

    -       La fourche (ou hourquo)  de forme bifurquée est utilisée pour retourner le foin, le répandre ou le ramasser.

     

     

     

    B)   Le transport

     

     

     

         Pour les distances plus ou moins longues et les exploitations plus ou moins importantes, il existe une variété de moyens de transport.

     

    Pour le déplacement de petites distances (transporter du bois, le raisin vendangé...), si la pente est trop abrupte le Béarnais détenant de petits revenus l’effectue à dos d’homme (à l’aide de hottes par exemple) ou en employant une civière à bras (« carcan »).Dans les reliefs accidentés, on transporte aussi avec ce que l’on nommait des « carras », sorte de traineau composés d’un châssis et de deux madriers terminés en forme arrondie. D’autres utilisent l’âne ou le mulet. Si l’exploitation est plus importante, l’usage de la charrette (lou car) devient indispensable (ou alors un tombereau). Cela sous-entend bien entendu la possession de bovins. Ces charrettes comportent deux ou quatre roues.

     

    Philippe Wolff fait mention du « ...currus, principalement utilisé par les charretiers béarnais », composé de quatre roues, d’une roue de secours, tracté par une paire de bœufs. 45

     

    La charge est d’alors 7 à 800 kg. Pour le transport du foin, de la paille…on dispose sur la charrette horizontalement  sur les ridelles – montants pleins ou à claire-voie  posés sur les côtés - un cadre appelé « las ballanços ». Quant au tombereau, il repose sur deux roues et détient un timon, il est tracté également par une paire de bœufs . Marguerite Rambeau nous décrit une sorte de tombereau nommé « lu bros » qui ne comporte que deux roues ce qui lui permet d’être plus maniable. Sa caisse, en la basculant, peut permettre de vider son contenu. De plus, il est possible de doubler sa contenance en mettant sur les côtés des piquets. 46

     

     

     

       a- Les jougs

     

         Pièce de bois que l’on met sur la tête des animaux, bœufs ou vaches, pour  les atteler. Il en existe plusieurs sortes. Une catégorie sert simplement à assembler deux têtes de bétail afin de les amener par exemple au marché. Il ne s’agit que d’une barre de bois trouée de quatre trous pour faire passer les cornes (« juhete). Dans ces dits trous on passera des attaches afin de  maintenir les bêtes.

     

    Il existe d’autres jougs qui, selon le nombre de bêtes, peuvent être simples pour un seul animal, doubles pour deux et même trois lorsqu’il s’agit de dresser un jeune entre deux anciens.

     

    Quant au joug utilisé pour des travaux de champs ou de transport on utilise celui qui est constitué d’une pièce de bois réalisé avec un bois dur comme le noyer ou le frêne. Pour l’adapter aux  cornes, il est sculpté. On cale les cornes avec des courroies.

     

    Le joug est positionné sur la tête de la race blonde (« barétone ») et particulièrement sur les cornes qui sont en forme de lyre, vu que ce sont elles qui encaissent le plus l’effort. . Par contre s’il s’agit de bovins possédants des cornes plus fragiles on le pose sur la nuque.

     

    Afin de le protéger des intempéries,  du soleil, (éviter l’éclatement du bois) on le protège par une peau d’animal (« cuberte »)  comme celle de mouton. Jean Poueigh mentionne que le « front des bovins attelés porte ordinairement une sorte de paillasson (« testère », sur lequel sont tendues les longes (« jùlhos ») ou courroies de joug (« joto, juàto »).

     

    Pour les animaux eux-mêmes, l’attaque des insectes comme le taon ou la mouche  pouvant les rendre nerveux, on appliquait des filets (« mousquès ») sur la face. Marguerite Rambeau précise que l’on protège les yeux par « un treillis de lin grossier « lu kapit » qui s’appelle « lu muske ». 47  En ce qui concerne leurs corps, on les protège par des draps, souvent d elin nommés « lah lyeytéres ». Marguerite Rambeau précise que ces dits draps étaient attachés « sous la queue « la kuwo » par des briudes « las krupyeros ». On en revêt « lu parel » pour le préserver de la fraîucheur du soir « lu seré », des refroidissements après la pluie et des piqûres de mouches oun de taons « tabaos » par grande chaleur « kalu ». » 47

     

    Au centre du joug correspond le point d’appui où on accroche la corde, la chaîne ou le timon. A cet effet, on utilise une cheville.

     

    En ce qui concerne les animaux accouplés sous le  joug, on les distingue soit selon leur couleur du pelage soit la forme de leurs cornes ou encore selon leur tendance à tirer à droite ou à gauche. Si on prend le cas des bœufs rouges béarnais, on les appelle « Roùi, Bouet... ». S’ils tirent vers le côté gauche ils seront nommés « biou senestrié »... Les animaux obéissent à la voix.  Le bouvier leur lance « arre » pour qu’ils reculent ou « wo » pour qu’ils arrêtent  ou « ha » pour qu’ils avancent.

     

    Pour inciter les animaux de bât à avancer on les pique avec une tige de houx, de coudrier ou de néflier nommés « agulhàdo ». Elle mesure près de 1, 75 m et est composée  d’un aiguillon au bout et à l’autre extrémité d’un fer aplati nommé « darboussàdo » servant à nettoyer le soc de la charrue de la terre et à couper les petites racines.

     

     

     

       b- Les colliers 

     

    Ils dépendent de l’animal auquel on le met. S’il s’agit d’un âne, le collier est en bois (ou en cuir si on a les moyens financiers) et on le place contre le poitrail tout en s’assurant de le protéger des frottements par des chiffons et de la paille  par exemple.

     

    S’il s’agit d’un cheval, le collier diffère de la traction lorsqu’elle est importante ou faible.

     

     

     

       c- Le bât

     

    C’est un dispositif que l’on pose sur le dos de l’animal qui sert de bête de somme afin de transporter de lourdes charges. On pense à l’âne, au mulet et au cheval.

     

    Tout simplement, on peut utiliser le transport à dos de ces deux animaux en le biais d’un cacolet à panier (« banastos »), c’est-à-dire un bât composé de deux sièges à dossier accroché sur une armature.

     

    Ce « bast » est fait en bois ou en osier. On utilise deux branches d’arbre dont la forme ressemble le plus en une courbe en arc. Elles sont alors solidarisées par des traverses dont la longueur correspond au dos de l’animal. On prend  soin de protéger la bête par des tissus  rembourrés avant de poser le bât. Si l’âne peut supporter une charge de 60 kg, le mulet, par contre, peut porter jusqu’à 120 kg, soit le double. 48

     

     

     

     

     

    Notes :

     

     

     

    1- Lavoisier, Antoine Laurent de, De la richesse territoriale du royaume de France,

        Editeur :Comité des travaux  historiques et scientifiques, 1998. 

     

    2- Sigaut, François , voir son article sur  https://mots-agronomie.inra.fr/index.php

        /Charrue,_historique_et_fonction.

     

    3- Bayard, F., et Guignet, P., L’économie française aux XVIe-XVIIe-XVIIIe siècles, Editions

        Ophrys,  1991, p. 25.

     

    4-Grandthan , George W. , “Division of labour : Agricultural Productivity and Occupation

       Specialization in Pre-   Industrial France”, Economy History Review , vol. 46, n°3, 1993,

        p. 494.

     

    5- Poueigh, Jean, Le folklore des pays d’oc, la tradition occitane , petite bibliothèque payot,

        1976, p.95.

     

    6-Rambeau Marguerite, Etude ethnographique et lexicologique de la culture des céréales

       dans un village  béarnais : Lussagnet-Lusson, Mémoire du diplôme d’études supérieures

       (Lettres Modernes), Université de  Bordeaux, 1965-1966, p. 3.

     

    7- Poueigh, Jean, op. cit., p. 94.

     

    8- Rambeau Marguerite, op.cit.,  p. 6. 

     

    9- Dralet Etienne-François, Description des Pyrénées considérées principalement sous le

        rapport de la Géologie,  de l’Economie politique, rurale et forestière de l’Industrie et du

        Commerce, Paris Arthus Bertrand 1813.

     

    10- Rambeau Marguerite, op.cit.,  p. 17.

     

    11- Cardo, Michel,  Les instruments aratoires en Béarn et Pays Basque à la fin du XVIIIe siècle,

         Revue de  Pau et du Béarn, n°24, 1997, p 287-292.

     

    12- Desplat, Christian, La vie en Béarn au XVIIIe siècle, Editions Caïrn, 2009,  p. 144.

     

    13- Rambeau Marguerite, op.cit.,  p. 4.

     

    14- Idem., p. 5.

     

    15- Idem., p. 37.

     

    16- Idem., p. 33.

     

    17- Idem., p. 37. 

     

    18- Poueigh, Jean, op.cit., p. 106.

     

    19- Moriceau, J.M, article « moissons », Dictionnaire de l’Ancien Régime, Editions puf

          Quadrige, 1996.

     

    20- Soboul Albert, La civilisation et la Révolution française, tome 1, chez Arthaud, 1970,

          p. 99.

     

    21- Rambeau Marguerite, op.cit.,  p. 7.

     

    22- METHODE de battre et de fouler les grains à l'aire, dans les Provinces méridionales de la

         France, par  M. AMOREUX, fils, Correspondant, à Montpellier. Mémoire d’agriculture,

         d’économie rurale et domestique  publiée par la Société d’agriculture royale de Paris,

         p. 47.

     

    23- Rambeau Marguerite, op.cit.,  p. 43. 

     

    24- Rozier abbé, article battage, Cours complet d’agriculture théorique, pratique,

          économique, et de  médecine rurale et vétérinaire, Paris, 1782,  tome 2, p. 176.

     

    25- Idem., article froment, tome 5, p. 155.  

     

    26- Idem., article battage, p. 173.

     

    27- Rambeau Marguerite, op.cit.,  p. 46.

     

    28- Moriceau Jean-Marc, Terres mouvantes, les campagnes françaises du féodalisme à la

          mondialisation XIIe- XIXe siècle, Fayard, 2002 ; Sigaut François, Pour un atlas des

          agricultures précontemporaines en France,  Histoire et sociétés rurales, 2, 2e semestre

          1994, p. 142-145.

     

    29- Menuret J.J., Mémoire sur la culture des Jachères, Mémoire d’agriculture, d’économie

          rurale, et domestique  publiée par la Société royale d’agriculture de Paris, p. 65.

     

    30- Idem., p. 69.

     

    31-Guerchy, marquis de, article tiré des Mémoires d’agriculture, d’économie rurale et

        domestique publiés par la Société royale d’agriculture de Paris, janvier 1787, p. 174.

     

    32- Soulet J-F, La vie quotidienne dans les Pyrénées sous l’Ancien régime du XVIe au XVIIIe,

         chez  Hachette, 1977, p. 93.

     

    33- A.D.P.A.,  III.E 5363.

     

    34- cf : Sigaut François, L’Agriculture par le feu. Rôle et place du feu dans les techniques

         agricoles de  préparation de l’ancienne agriculture européenne, Paris-La Haye, Mouton,

         1975.

     

          Voir l’article, de Portières Roland, De l’écobuage comme un système mixte de culture et

          de production,  Journal d’agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, Année

          1972, 19-6-7, pp. 151-207.

     

    35- Lassansaa J., Billère au fil des siècles, 4e chapitre, Revue Régionaliste des Pyrénées, 56e

         année, n° 201-202  Janvier à juin 1974, p. 54.

     

    36- Daudin G,  Commerce et prospérité. La France au XVIIIe, PU-Paris Sorbonne, 2005,

          p. 39.

     

    37- Soulet, F., op.cit., p.95.

     

    38- Poueigh, Jean, op.cit., p. 100.

     

    39- Idem., p. 103.

     

    40- Soulet, J-F, La vie quotidienne dans les Pyrénées sous l’Ancien Régime, Editions Hachette, 1977, p. 96.

     

    41- Poueigh, Jean, op.cit., p. 96.

     

    42- Soulet, J-F, op.cit., p  97.

     

    43-Frèche, Georges,  Toulouse et la région Midi-Pyrénées au siècle des lumières vers

        1670-1789, Paris, 1974, cujas.

     

    44- Desplat Christian : Village de France au XVIIIe siècle, autoportrait », Editions atlantica,

        1 97 ; p. 32.

     

    45-Wolff, Philippe, Commerces et marchands de Toulouse (vers 1350-1450), Le Plon, Paris,

        1954,  p. 449.

     

    46- Rambeau Marguerite, op.cit.,  p. 9.

     

    47- Idem., p. 11.

     

    48- Soulet, J-F, op.cit., p. 152. 

     

     

     

     

     

    Bibliographie :

     

     

     

    - Bulletin des comices agricoles des arrondissements de Pau, Bayonne, Mauléon, Oloron

      et Orthez,  Pau, Vignacour, 1860.

     

    - Haudricourt, A.G., L’Homme et la charrue à travers le monde, Paris, La Renaissance de

       Livre, 2000.

     

    - D’Alband, N., Nouvelle Méthode pour défricher les landes et les vieilles prairies, Pau,

       1773.

     

    - Desplat, Christian, Village de France au XVIIIe siècle. Autoportrait. Satournin et la

      baronnie d’Esparros, Biarritz, Atlantica, 1997.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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  • PARTIE 2: L'AGRICULTURE 

    LE PAYSAGE RURAL BEARNAIS

     

    Ce qui marque avant tout le monde agricole est son hétérogénéité.

     

    Comment se présentait le paysage béarnais au XVIIIe siècle ?  D’abord précisons que la province couvre à l’époque 4 186 km2.

     

     

     

       Nous avons deux descriptions dressées par deux Intendants successifs qui nous ont laissé deux « Mémoires » lors du règne de Louis XIV. Le roi et le duc de Beauvilliers cherchent à partir de 1697 à dresser un tableau de la France afin de servir à ses successeurs dans leur gouvernement du royaume. En conséquence  les Intendants établissent par le biais des « Mémoires sur l’état des Provinces » une description des provinces et des généralités qu’ils administraient .Ces Mémoires doivent également servir à instruire le successeur du roi, le duc de Bourgogne afin qu’il puisse administrer le pays  par la suite. Nous possédons grâce à eux un exposé géographique, économique, juridique... détaillé des territoires de leurs ressorts. Ces documents furent connus du public, notamment en 1727 par leur publication par le duc de Boulainvilliers en trois volumes.

     

    En Béarn, il s’agit des Intendants Pinon et Lebret. Le premier a écrit son « Mémoire » en 1698 et le second en 1703. 1

     

    L’Intendant Pinon commence l’analyse de la géographie du Béarn en se référant aux gaves qu’il appelle « Gave béarnois » (il s’agit du gave de Pau) et le « Gave d’Oloron »  constitué de ceux d’Ossau et d’Aspe. Pour chacun d’entre eux, il énumère les sources et les lieux de passage. Faisant le lien avec le domaine économique, il note que ces « rivières ne portent point de bateaux dans le païs à cause de leur rapidité. » par contre il constate qu’ils sont très poissonneux. 2 L’Intendant Lebret ne mentionne que l’étendue du  Béarn et sa situation, il écrit que la province revêt une forme triangulaire de « seize lieues de Gascogne en sa plus grande longueur et douze lieues de largeur ».3

     

        Comme le remarque Christian Desplat , les deux Intendants ne dressent pas  une étude approfondie des montagnes si ce n’est Mr Lebret lorsqu’il s’agit d’aborder les forêts. De plus, le même auteur souligne qu’ils n’ont guère insisté sur les coteaux et les hautes plaines béarnaises. Pour lui, « ils ont excessivement privilégié le rôle des « ribeyres » (les terrasses alluviales) dans la vie économique et sociale de la province ». 4

     

    Pourtant, il est vrai que pour le Béarnais du XVIIIe siècle comme celui d’aujourd’hui les montagnes représentent un élément important.  Nos trois grandes vallées montagnardes que sont celles d’Aspe, d’Ossau et de Barétous ne représentaient pas de véritables barrières puisqu’elles correspondaient à un axe Nord-Sud par rapport à l’axe dominant des montagnes Ouest-Est. Si elles pouvaient devenir un danger d’invasion pour des conquérants elles recelaient aussi un avantage, celui des échanges qu’elles ont su très bien développer. A l’époque, les densités humaines y sont  très importantes.

     

    Les gaves dont nous avons fait allusion traversent des coteaux, eux-mêmes coupés  par des vallées de moindre importance que nos vallées montagnardes, on peut mentionner celles de l’Entre-Deux-Gaves, le Vic-Bilh.

     

     

     

       Rappelons avant tout que la vision des champs  que nous avons actuellement ne correspond à celle qu’elle offrait au XVIIIe siècle.  Les parcelles à l’époque sont de dimensions plus petites qu’aujourd’hui, si elles nous apparaissent  avec des formes bien régulières ce n’est pas le cas dans le passé. En Béarn, dans les vallées des Gaves et les vallées montagnardes elles couvrent généralement une quinzaine d’hectares voire seulement dix. Elles sont plus importantes dans les zones de collines.

     

    Quant au sol, selon le type de labour pratiqué, il peut apparaître plus ou moins inégal. Si l’on utilise la culture  sur billons surtout sur des terres argileuses lourdes  le sol  ne montre pas la même apparence que si l’on pratique le labour en planches on cultive avec une charrue non réversible. Le contemporain de  l’époque pouvait s’émerveiller des nombreuses couleurs qu’il voyait en apercevant les champs. Sur une parcelle donnée, plusieurs variétés de  plantes coexistaient  d’où des contrastes de tous types, la hauteur, la couleur. Si le paysan actuel emploie fréquemment des herbicides,  au XVIIIe siècle les plantes sauvages  comme les herbes et les fleurs étaient davantage présentes, comme par exemple le coquelicot.

     

    Quant aux bois et forêts ils offrent de nombreuses variétés qui s’expliquent par  le climat océanique qui domine (forte pluviosité dans les zones de plaines notamment), la diversité des terrains (comme par exemple des terres lourdes  ou couvertes d’humus) et des types de reliefs comme la plaine ou la montagne.

     

     

     

    On y trouve comme essences des chênes (pédonculés ou tauzins), des hêtres et des châtaigniers dans les zones du piémont et sur les coteaux, sur les versants montagneux les mêmes essences jusqu’ à près de 1 000 mètres d’altitude, au-delà des sapins. Le constat de l’Intendant Lebret dans son rapport de 1701 et le recensement général des forêts de 1785 déplorent  l’état de dégradation de la forêt béarnaise dans son ensemble. Plusieurs causes expliquent cet état de fait. La croissance démographique , les défrichements, l’exploitation par  la marine royale soucieuse de doter ses navires de mâts, des pratiques exercées par les Béarnais comme le soutrage (se procurer les feuilles mortes, le bois mort dans les forêts) , le pacage (droit de faire paître le bétail dans les forêts) , les forges sont également en prendre en compte (il en existe 9 en 1771).

     

    D’après ledit recensement de 1785, il ressort que les bois communaux sont moins étendus en plaine que dans les zones montagneuses. Dans ces dernières, ils sont implantés sur les versants pentus et bien exposés. L’essence prédominante est le chêne. 

     

    L’avocat Charles de Picamith, dans  son volume 2 de sa « Statistique générale des Basses-Pyrénées »  datant de 1858, mentionne que par rapport à la superficie du département qui s’étend alors à 762 265 ha l’étendue de la forêt n’est que de 145 700 ha approximativement, qu’elle a baissée. Si on écarte les bois appartenant à l’Etat, aux communes et à quelques particuliers, il ne reste que « des bouquets d’arbres éparts sur des landes incultes ou à l’état de pâture et trop clairsemés pour mériter la dénomination sous laquelle ils se trouvent inscrits aux matrices cadastrales. »

     

     

     

    Les deux vallées correspondant aux Gaves d’Oloron et de Pau atteignent des longueurs avoisinant les 60 à 80 kilomètres. Ces deux « arribères » sont orientées toutes les deux selon un axe Sud-Est  Nord-Ouest. Les orages et fontes des neiges les grossissent et provoquent des crues dévastant parfois les terrasses alluviales.  

     

    Christian Desplat en décrivant les ribeyres (terrasses alluviales)  nous dépeint un paysage agraire composé « d’un habitat fortement concentré, ...une grande diversité de  cultures très imbriquées. Les rivières des gaves de Pau et d’Oloron offrent des paysages comparables. Un habitat groupé s’est installé sur la moyenne terrasse... ». Plus précisément, l’habitat groupé était un plus relâché sur la rive gauche du gave de Pau.

     

    Entre les localités d’Orthez et de Pau les terrasses alluviales sont plus étroites expliquant des superficies agricoles restreintes et des habitats moins groupés. Près de Pau, la lande a néanmoins dominé durant longtemps ce qui permettait aux paysans de pratiquer le pacage et le soutrage. L’habitat était plus dispersé, les exploitations agricoles se greffant davantage aux champs.  

     

    Au bord du gave, « le lit majeur...comportait une « saligue », véritable forêt galerie aux multiples ressources » notamment pour les plus pauvres « qui lâchaient des troupeaux de chèvres dévastateurs ».  Cedit lit majeur est pavé de galets où poussent  des saules, des aulnes , des noisetiers… mais également des chênes et des peupliers par l’entremise des hommes.

     

    En ce qui concerne la ribeyre d’Oloron le « cloisonnement est un peu moins prononcé », la cause en revient aux « enclosures du XVIIIe siècle et surtout du XIXe siècle » 5

     

     

     

    Il nous rappelle qu’à l’époque les crues des gaves étaient dévastatrices comme cela a été mentionné plus haut. A l’origine, ces terrasses ne sont pas globalement fertiles vu que le sol argileux qui repose sur des galets souffre d’une insuffisance de chaux et de phosphates. L’homme, par son travail, réussit à drainer, à fertiliser ce qui explique l’habitat groupé propre à l’organisation collective.

     

    Il rajoute que dans les ribeyres la céréaliculture était associée à l’élevage. Les Béarnais ont cherché à introduire la viticulture au début du XVIIIe siècle mais n’ont pu produire qu’un vin de moindre qualité. Le même auteur mentionne que les ribeyres ont connu « une prolifération nouvelle d’enclos » mais « les rotations, la vaine pâture restèrent toutefois longtemps encore les traits dominants de leur économie agraires ». 5

     

     

     

    Si l’on se penche plus profondément sur la plaine de Nay située globalement à la confluence des  cours d’eau l’Ouzon et l’Ousse. Enserré par deux lignes de coteaux , le Gave de Pau dans lequel l’Ouzon se jette sert également de limite occidentale et est  encadré par la saligue. La plaine s’allonge sur une distance d’ une vingtaine de kilomètres.  Le Gave a imposé aux hommes sa loi lors des crues parfois si dévastatrices qu’elles détruisaient les habitations et les cultures obligeant la population à s’unir. La solidarité villageoise, le travail fait en commun afin de faire front aux caprices du cours d’eau expliquent comme cela a été écrit plus haut l’habitat groupé. Des règles furent prises, par exemple, pour forcer les habitants à ne pas édifier des bâtiments et à planter des arbres dans des zones bien délimitées. Bénéficiant de coteaux boisés aux alentours, la communauté se servait des terres lui appartenant pour l’usage du pacage des animaux et du soutrage. Ce dernier consistant dans ce cas à permettre chaque année  la récolte de la fougère qui servait de litière procurant ainsi de la fumure. La plaine de Nay a toujours été considérée comme une zone agricole riche notamment dans la culture céréalière, surtout en blé et en maïs. L’élevage n’était pas négligé (chevaux, bovins).

     

     

     

      Les rivières, au XVIIIe siècle, jouent un rôle de plus en plus important économiquement et même politiquement puisque les villes qui s’y rattachent dominent celles des coteaux. Il cite l’exemple de Morlaàs qui a « dû céder la place ». Même les routes royales ont abandonné les crêtes pour suivre les cours d’eau.

     

    Le plateau de Ger est composé de « villages groupés », celui de Morlaàs, au contraire se distingue par des « villages dispersés, de fortes exploitations...et une présence nobiliaire importante... ».

     

    Le Pont-long, « immense glacis alluvial », est un relais « de la grande transhumance », où les touyas, véritable fumier, permettaient aux cultivateurs de se passer de la jachère.

     

     

     

         Le Nord et l’Ouest du Béarn sont constitués d’habitat dispersé avec une association polyculture et élevage. »

     

    Le Vic-Bilh – vieille circonscription -  présente un habitat dispersé où la viticulture et l’élevage étaient associés.

     

    Son paysage est formé de vallées et de collines. Les versants est sont plutôt secs et sont plantés de bois alors que ceux de l’ouest  sont davantage propices à la culture.

     

    Les fermes ont des toits pentus, les façades sont plutôt orientées vers l’Est afin d’éviter les inconvénients dus à la pluie et au vent en provenance de l’Ouest. La tuile prédomine.

     

    Quelques communes ne comptaient pratiquement que des fermes isolées enserrant un petit centre : Claracq, Sévignacq, Ribarrouy. 

     

    Ce que l’on appelle le pays des Luys et du Gabas qui s’étend du Vic-Bihl au Nord-Ouest du Béarn est aussi composé de collines avec des bois de chênes et de châtaigniers et de vallées constituées de landes et de bois. Les localités sont édifiées sur les hauteurs

     

    Aux environs de Morlaàs, nous sommes en présence d’une « haute plaine » dans laquelle les villages sont « de taille médiocre ». « De fortes exploitations ponctuent un parcellaire coupé de très nombreuses haies. » 6

     

    « Du Nord-est d’Oloron au Nord de Sauveterre-de-Béarn »  les coteaux sont le « pays au bois ».  Les vallées sont « encaissées, trop étroites... ». 7  Les « villages sont constitués d’exploitations isolées ».

     

     

     

         « Autour de Bougarber et d’Arthez-de-Béarn, tous les villages sont de petite taille et l’habitat dispersé l’emporte au sein d’un bocage inégal. A une céréaliculture longtemps médiocre ces petits « pays » associèrent toujours un élevage vigoureux de porcs qui furent vendus à Arthez (« lou bitous d’Arthez »). Salés à Orthez, ils  étaient enfin négociés à Bayonne ». 7

     

    Toujours d’après le même auteur, la mise en valeur de la province se serait opérée « par épisodes successifs, sans toujours commencer par les meilleures terres. Dans tous les cas, il n’y eut aucune vague brutale de défrichements et la tradition attestait le lent passage d’une activité strictement pastorale à l’équilibre agro-pastoral qui prévalait encore au XVIIIe siècle. » 8

     

     

     

          Jean Caput , pour sa part, dans son étude sur les anciennes coutumes agraires dans la Vallée du Gave d’Oloron écrit que « les vieilles formes d’exploitation », c’est-à-dire l’assolement triennal et l’exploitation communautaire, caractérisent les « ribères » (ou « ribeyres ») . Les communes sont quasiment autosuffisantes, elles détiennent des forêts importantes « sur les coteaux bordant de part et d’autre les vallées… échappant  au monopole d’un particulier » même si ce dernier appartient à la noblesse vu que les paysans à l’époque détenaient des droits d’usage, et de citer la coupe, le ramassage du bois mort, la glandée et le pacage. 9

     

     

     

    Prenons un exemple, le cas de Bruges.

     

    La part de l’élevage dans ce village du piémont pyrénéen est importante en jugé aux nombreux conflits constatés entre la cité et les communautés environnantes telles Asson et Igon. Même si Annie Suzanne Laurent observe que « dans chaque propriété agricole, les surfaces de prés dont le terroir de 1782 donne la superficie, paraissent bien réduites. Leur total ne donne que 319 arpents sur 2911 arpents de terre, soit à peine 11% ». Elle ajoute pour expliquer ce chiffre relativement bas : « Il faut déjà penser que les terres labourables peuvent servir de terrain de pâture entre les récoltes et l’ensemencement. En fait, l’été, l’essentiel du bétail des membres de la communauté étant dans les estives, les prés n’ont d’intérêt que pour faire des réserves de foin et nourrir des animaux, peu nombreux, restés près de la ferme en raison de leur utilité journalière : quelques bêtes de somme, éventuellement une vache pour le lait…Au demeurant subsistent partout les vastes espaces que sont les châtaigneraies, bois et fougeraies. »

     

    Ensuite, l’auteure se penche sur l’agriculture de subsistance. Les terres labourables concernent  les 2/3 des terres. 10

     

     

     

    Autre exemple, celui de la vallée du Gave d’Oloron qui est couverte de champs « découpés en longues lanières, groupés par quartiers et soumis à deux contraintes : l’assolement  obligatoire et la vaine pâture ». Ce dit assolement était biennal et « la jachère inconnue ». Jean Caput  l’explique par l’utilisation importante du fumier. « On faisait alterner les grains menus (millet, avoine et orge) semés au printemps et les gros grains (froment et seigle) semés en automne. La vaine pâture s’avérait presque inexistante  « puisque la sole en jachère était utilisable seulement pendant quelques mois » puis lorsque la moisson avait été faite « les champs retombaient dans le domaine commun (devenaient vains)… » permettant au cheptel de la communauté de « pâturer sur les chaumes et dans les bois mêlés de landes », toutefois il fallait tenir compte du privilège du seigneur des « herbes mortes » (location vis-à-vis des « pasteurs transhumants ») tant décriées par les paysans comme on l’a vu dans les cahiers de doléances. La même auteure explique l’existence de ce système  comme un résultat d’une « structure sociale particulière et une mentalité abolie ». Au niveau historique, les gens, constitués de petits propriétaires, « se partageaient une très mince bande de terre alluviale » et se regroupaient afin de ne pas « gaspiller des bonnes terres », écartant tout procédé de clôture comme les murettes et les haies. Tout le monde, même les paysans les moins fortunés, bénéficiaient du « pacage commun ».

     

    Une division est opérée au niveau du terroir entre une « plaine supérieure » et une « plaine inférieure » correspondant aux surfaces cultivées « en amont ou en aval du village, ou bien des deux côtés du principal chemin rural, des croix précisant les limites ».

     

    Quand les récoltes sont achevées, on introduit le bétail sur la moitié des terres du fait de la rotation des cultures. Mais au XVIIIe siècle, comme nous le verrons ultérieurement, certains propriétaires veulent corriger tout le système que nous venons de voir c’est-à-dire que « Certains laboureurs voulurent échapper à ce repos forcé et faire prédominer l’intérêt de l’agriculture intensive sur l’élevage extensif », une des raisons à ce phénomène est l’apparition d’un certain individualisme. 11

     

    Lorsque les clôtures sont dressées de quels matériaux sont-elles composées ? Le même auteur nous détaille plusieurs types comme celle constituée de sep, de pieux ou de branches comme on pouvait l’observer à Sainte-Marie d’Oloron, de « muraille cimentée » dressée par les riches propriétaires de Barreau à Bugnein en 1754, de barrière afin de faciliter le passage du bétail, d’aubépines, de pieux (ou pau). 12

     

     

     

          Les  paysages montagnards béarnais sont découpés par les trois vallées que sont celles de Barétous, d’Aspe et d’Ossau. Les monts sont auréolés de croyances surnaturelles, ils occasionnent de la crainte. Les Béarnais pensaient que le pic du Midi d’Ossau servait de résidence à des géants qui s’engouffrait dans ses entrailles par le biais d’un escalier, de même que le pic d’Anie aurait été un lieu habité par des sorcières.

     

    Du fait des contraintes climatiques, les vallées sont densément peuplées à l’opposé des montagnes. Aux villages qui parsèment le fond des vallées, les flancs des montagnes sont occupés par des champs, des prairies et des forêts qui se superposent. Leurs dispositions dépendent de leur localisation en rapport avec les versants correspondant à l’ombrée (ou ubac dans les Alpes, correspond à la partie à l’ombre) ou à la soulane (ou adret dans les Alpes soit la partie ensoleillée).

     

    Les hommes ont du édifier des murettes de pierre pour consolider les bandes de terre qui leur servaient de champs. 

     

    Les toits des fermes sont couverts d’ardoises produites localement.

     

        Si l’on se penche sur la vallée d’Ossau, celle des trois la plus importante sur le plan démographique, est partagée en deux zones. La première, d’une altitude moyenne de 500 mètres,  est plus évasée ce qui explique que les Ossalois y ont établi plusieurs villages. Elle s’étend de Sévignac à Laruns approximativement. Les hommes y ont planté des grains mais ont dû faire face à des crues.  La seconde se poursuit jusqu’à la frontière espagnole et s’élève en altitude. L’élevage lié à la transhumance a son importance vu que la production céréalière s’avère insuffisante. Les Ossalois retirent de la vente des animaux et des produits laitiers de quoi compenser ce manque à gagner. L’épizootie de 1774 qui décima grandement le cheptel bovin amena les Ossalois à privilégier les ovins.

     

    Quant à la vallée d’Aspe elle s’étend du défilé d’Escot jusqu’au col du Somport sur une distance avoisinant une trentaine de kilomètres. Elle est plus encaissée que la précédente sauf au niveau du bassin de Bedous. Si dans cette zone il était possible de récolter des grains vu son caractère plat par contre dans tout le reste l’élevage prédominait. Le contrôle par les Aspois des pâturages était essentiel, ils appartenaient à la communauté alors qu’au fond de la vallée la propriété était davantage individuelle. Comme dans la vallée d’Ossau les pâturages à travers le droit de pacage étaient réglementés. De même au niveau des villages une véritable organisation sociale s’était établie depuis longtemps  au profit des maisons dites casalères.  La vallée grâce à l’altitude moins importante du col du Somport par rapport à ceux des autres vallées était une grande voie de passage des hommes et des marchandises vis-à-vis de l’Espagne et plus particulièrement de l’Aragon.

     

    Enfin, concernant la vallée de Barétous , on peut la diviser elle aussi en deux parties, une située autour d’Arette, d’altitude moins élevée puisque la moyenne est de 400 mètres . On y  trouve des collines où les prairies dominent et les bois sont peu importants. A l’opposé de la haute vallée dans laquelle on relève la forêt d’Issaux et le gouffre de la Pierre Saint-Martin niché dans un paysage calcaire.

     

    On note que cette vallée offre de bons pâturages aux bovins qui ont été peu touchés par l’épizootie de 1774 et les ovins. L’élevage a été aussi l’activité économique qui a compensé la faiblesse des productions céréalières.

     

     

     

         Dans l’ouvrage de Pierre-Yves Beaurepaire 13 une étude est entreprise sur l’appréhension et la représentation des paysans sur les terroirs. Pour eux, « l’espace vécu est d’abord un espace perçu ». Le temps est appréhendé en journées de travail ou selon le moyen de déplacement (pied, cheval) et non en heures, il travaille selon le rythme des saisons ou celui de « la course du soleil ». S’il doit aller vendre le fruit de sa récolte au marché de la ville voisine, il estime  le temps qu’il met pour l’atteindre et pour revenir avant que tombe la nuit. Des éléments de bornages répartis dans le zonage vécu lui permettent de se repérer comme les croix dans les carrefours, les chapelles…Et de citer Jean-Michel Boehler 14 lorsqu’il écrit : « la traditionnelle lieue est une mesure bien trop grande par rapport à l’univers étroit de la

     

    paysannerie. On préfère s’exprimer en langage imagé : les distances sont évaluées en portée de mousquet ou en jet de pierre…Le paysan apprécie le monde qui l’entoure en utilisant comme étalon les parties de son propre corps : le pied, la coudée, le pouce ». A travers les régions françaises, on peut discerner différentes unités de superficie mais elles sont déterminées en fonction du temps consacré au travail, si on prend l’exemple du laboureur qui utilise la charrue il appellera  « arpent » l’ensemble de la zone que peut labourer ses bœufs ou ses chevaux entre l’aube et le crépuscule. De plus, sa perception de l’espace dans lequel il baigne est différente de celui du seigneur et de l’agent fiscal. Il privilégie les chemins, les bois, les terres, l’église, le château de son seigneur, son monde gravite autour de son village, de la ville voisine où il se rend au marché. Quant au seigneur, il perçoit sa seigneurie « comme l’étendue de sa mouvance, comme un espace juridique ». Il en fait dresser des cartes pour mieux asseoir ses droits qu’il prélève ,ce que l’on nomme les « plans terriers », surtout à partir du milieu du XVIIIe siècle.

     

     

     

     

     

    Notes :

     

     

     

    1- Mémoires des intendants Pinon et Lebret, Bull.SSLA de Pau, 2e série, tome 33, 1905.

     

    2- Idem., p. 38.

     

    3- Idem., p. 72.

     

    4- Desplat, Christian, Pau et le Béarn au XVIIIe siècle, Editions Terres et Hommes du Sud

        J & D  Editions, 1992, tome 1, p. 20.

     

    5- Desplat Christian : « Principauté du Béarn », Edition « société nouvelle d’éditions

       régionales et de  diffusion », 1980, p. 24.

     

    6- Idem., p. 25.

     

    7- Idem., p. 27.

     

    8- Idem., p. 32.

     

    9- Caput Jean : « Les anciennes coutumes agraires dans la Vallée du Gave d’Oloron »,

        Bull.SSLLA.  de Pau, 3e série, tome 15, 1955, p. 62-63.

     

    10- Annie Suzanne Laurent, La bastide de Bruges de ses origines à la Révolution, TER,

         Université de  Pau et des Pays de l’Adour, Histoire de l’art et archéologie, 2001,  

         p. 67.

     

    11- Caput, Jean, Opus cité, p. 65.

     

    12- Idem., p. 68.

     

    13- Beaurepaire Pierre-Yves : « La France des Lumières (1715-1789) », Collection

         « Histoire de France » sous la direction de Joël Cornette, Belin, 2011, p. 549-553-569.

     

    14- Boehler J.M : «Une société rurale en milieu rhénan : la paysannerie de la plaine

          d’Alsace (1648- 1789) », Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1994,

          tome 1, p.46.

     

     

          

     

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  •                   LA SEIGNEURIE, LE CADRE JURIDIQUE    

     

     

     

    1)    Dans le royaume de France : généralités

     

     

     

         En 1789, la quasi-totalité des paysans sont juridiquement libres. Il ne subsiste du servage qu’une minorité localisée surtout en Franche-Comté et dans le centre de la France. On en dénombre près d’un million de serfs.

     

    Au sujet des terres, elles dépendent en majorité d’une seigneurie, une minorité correspond à ce que l’on nomme un « alleu » c’est-à-dire une terre libre de toute obligation (noble ou roturière) , nombreux dans le Sud-Ouest (Bordelais, Périgord...), l’Ouest et le Centre mais tendent à diminuer d’année en année et ceci depuis XVIIe siècle sous l’action des seigneurs hauts-justiciers et des officiers du roi.

     

    Les alleux ne représentent plus que 1 % des terres.

     

     

     

         Comme le souligne très bien Pierre Goubert 1 une seigneurie est un ensemble de terres constituant une propriété et un espace où s’exerce une justice de la part soit d’un individu soit d’une collectivité. Ce n’est plus une cellule économique telle qu’elle existait au Moyen Age vu que sa part dans la production a régressé, c’est une cellule « structurale juridique » titrée ou non. 2

     

    Jean Gallet la définit « comme une terre dont la possession s’accompagne d’une délégation de puissance publique » et confère « au propriétaire une dignité particulière ». Si la féodalité existe encore à l’époque moderne, elle ne correspond qu’à une « institution de droit privé qui encadrait la propriété immobilière. » La seigneurie s’est modifiée pour devenir « une propriété héréditaire, une source de profits, un objet de commerce. » mais ne forme plus « un réseau de solidarités féodales politiques et militaires. » Elle n’est plus «... une cellule économique. Son rôle dans la production se restreignait. Les réserves ne comprenaient plus qu’une petite partie des terres. » Si elles apparaissent si complexes, cela est dû « aux différences entre pays de droit écrit et pays coutumiers, aux caractères propres des provinces qui ne sont entrées toutes en même  temps dans le royaume et qui ont conservé des privilèges, et aux usages particuliers des seigneuries. » L’Etat n’y est pas étranger puisqu’il a tenté de les « organiser » et de « réduire leur rôle. » 3

     

     

     

    Au niveau du paysage, elle se reflète en partie par la présence du château ou de la gentilhommière.

     

    Les seigneurs ne sont pas forcément des aristocrates (bien qu’ils constituent la majorité), de nombreux bourgeois ont acquis des seigneuries - en payant le droit de franc-fief- auprès de nobles désargentés par exemple pour le prestige notamment et pour percevoir les droits qui s’y rattachent. La bourgeoisie y voit un moyen de gravir dans l’échelle sociale dans des termes d’investissements fonciers. D’aucuns tenteront d’acquérir une terre noble, ce sont soit des laïcs soit des ecclésiastiques.

     

    Hubert Méthivier distingue deux types seigneuriaux, celui qu’il nomme « les seigneurs censiers » qui perçoivent un cens (ou redevance versée par les paysans) et celui qu’il désigne de « seigneurs banniers » qui possèdent le droit de ban (pouvoir de faire des règlements sur l’étendue de son domaine…). Ensuite, le même auteur précise que les droits seigneuriaux sont « les uns personnels et honorifiques, les autres « utiles » (sources de revenus) » et que le seigneur bénéficie de plusieurs « monopoles » comme le droit de chasse, les péages…, d’imposer les banalités » (droit pouvant imposer à ses sujets l’usage, moyennant une redevance, du moulin, du four et  du pressoir), les droits de justice. 4

     

     

     

         Pour simplifier,  si on doit établir un schéma d’une seigneurie on doit dire qu’elle est divisée en deux parties, la première appelée est la réserve seigneuriale (ou domaine proche) qui dépend directement du seigneur – en l’exploitant, davantage en louant la terre qu’en usant le faire-valoir-direct, - et dans laquelle il vit (château, manoir…).  et la seconde, les tenures ou les censives (ou encore la mouvance) qu’il loue en échange d’un cens et qui constituent en surface la plus grosse part le plus souvent. On peut y adjoindre également les biens communaux, c’est-à-dire les bois, les landes… sur lesquels reposent des droits d’usage collectif.  En réalité définir une seigneurie se révèle beaucoup plus complexe car elle peut se composer, par conséquent, comme on vient de l’écrire de la réserve, des censives mais également des fiefs (terres nobles) et, pour compliquer le tout, d’arrière-fiefs…Les seigneuries « occupaient des superficies les plus diverses : une seule communauté, voire quelques hameaux, ou  plusieurs dizaines de communautés. Les limites n’avaient rien d’immuable. » 3

     

     

     

         Albert Soboul distingue les droits féodaux et les droits seigneuriaux. Les premiers  découlent du contrat de fief tandis que les seconds  dérivent de la puissance publique.5 

     

    Emmanuelle Charpentier, analysant les droits féodaux, écrit qu’ils sont « dus par les sujets par les sujets du seigneur en vertu de la concession initiale de la terre composant la mouvance ». 6

     

    A travers eux le seigneur exerce une autorité et du pouvoir sur les terres et les gens.

     

    Le cens, note Albert Soboul, « manifeste la dépendance dans laquelle se trouvent les tenures roturières (censives) à l’égard du seigneur. » Emmanuelle Charpentier précise que s’il est payé en argent « son coût est peu élevé…car il a valeur de symbole. » Mais il peut être plus cher au moment des années de crise lorsqu’il est perçu « sur les productions locales dominantes ». Il est différend d’une région à une autre car il est « défini par rapport au lieu ». Il peut être prélevé par un agent seigneurial s’il est « quérable » ou payé directement au seigneur s’il est « portable ».

     

    D’après Albert Soboul , « la plupart des paysans propriétaires étaient des censitaires » et, de ce fait, est « dans la dépendance de son seigneur …qui est marquée par le paiement annuel du cens… »

     

    A côté du cens , d’autres prélèvements s’exercent sur la production agricole.

     

     

     

                                 2) La seigneurie en Béarn,     

     

     

     

    Ces généralités concernent les seigneuries que l’on trouve dans l’ensemble du royaume de France. Mais en Béarn, il existait des particularités qui les distinguaient quelque peu.

     

    Il est nécessaire de se rappeler que la noblesse en Béarn était réelle. Il était indispensable d’être propriétaire d’une terre noble, ce qui explique que les familles s’arrangeaient pour ne pas en être dessaisies. Le pouvoir royal chercha à lutter contre les usurpations des roturiers des titres de noblesse. L’ordonnance de Blois de 1579 promulguée par Henri III  ne concerne que le royaume de France et non le Béarn, puisque ce dernier se considère comme souverain. Ledit édit  spécifie bien dans l’article 257 que ceux qui, sans droit, « prendroient le nom et le titre de noblesse, d’écuyer, ou  porteroient armoiries timbrées » seraient punis d’une amende arbitraire. Il insiste bien que la particule « de »  n’est en rien une valeur nobiliaire. Néanmoins aucune décision royale n’a jamais interdit à un roturier d’usurper la particule. Mais le pouvoir royal devant la persistance des nobles à signer de leur  nom celui de leur seigneurie chercha à lutter contre cette pratique qui facilitait l’usurpation de noblesse.

     

     

     

     

     

    L’autorité royale accepta de reconnaître la particularité béarnaise. Elle prit, par exemple, un édit confirmant les anoblissements octroyés depuis 1715. Cela devait persister  jusqu’au 17 juin  1790, date de la disparition par décret de l’Assemblée constituante des titres nobiliaires et honorifiques. En 1815, par contre, les principes nobiliaires propres à l’ensemble du royaume gouverné par Louis XVIII furent étendus.

     

    Auparavant, comme l’écrivait Alexandre de Nays Candau 7 dans son journal : « Le dernier des manants qui ne commerçait point en détail et qui n’exerçait point de profession virile, achetait ce que l’on appelait une entrée aux Etats, ce qui n’était souvent qu’une masure, un rocher, un lopin de terre grand comme un carreau de jardin et aussitôt il prenait dans ses actes la qualité de noble et jouissait de tous les privilèges de la noblesse dans l’étendue de la souveraineté... ».

     

    Christian Desplat écrit que la valeur d’une terre noble varie entre 500 et 400 000 livres , l’achat du droit d’entrée « s’accompagnait de celle d’une véritable seigneurie », entre 15 000 et 50 000 livres. Il rappelle que ce sont « les terres et les revenus agricoles qui valorisaient une seigneurie, plus que sa nobilité. » 8

     

    Si, a priori, le nombre des fiefs augmente tout au long du XVIIIe siècle - 200 en 1702, 260 en 1782 -, la quantité de nobles dans la province n’est pas plus élevé que dans une autre province française. Le pourcentage de nobles avoisine les 1,5 % de la population.

     

    Le noble béarnais, membre de plein droit des Etats de Béarn, jouissait alors de tous les privilèges dont bénéficiaient les autres aristocrates français.

     

     

     

    Christian Desplat étudiant la répartition géographique des fiefs à l’époque moderne constate que cela n’a guère évolué depuis le Moyen Age. Il note que les capitales historiques de la souveraineté comptent « le plus grand nombre de fiefs et spécialement de fiefs avec juridiction ». il cite Morlaàs avec 251 fiefs, Orthez avec 195 fiefs et Pau avec 190 fiefs.  Les sénéchaussées de Sauveterre (172 fiefs) et d’Oloron (177 fiefs) auraient vu le nombre de nobles baisser.SI on compare ces chiffres avec ceux issus des sources fiscales (la capitation entre autres), l’auteur précise qu’ils sont à nuancer. Par exemple, si Orthez concentre 7,2 % de nobles en rapport avec la population totale, elle constitue 26 % de nobles par rapport à la noblesse, tandis que Pau présente ces données : 4,1 % (% dans la population des contribuables)  et 26,1 % (au sein de la noblesse). En ce qui concernent les vallées pyrénéennes, elles « avaient très tôt éliminé ou presque la noblesse. » 9

     

         La superficie des différentes seigneuries béarnaises n’était pas très importante, en taille, elles se rapprochaient de celles des laboureurs des villages. Quelques nobles, seulement, se détachaient du lot. Comme exemple, on peut citer les propriétés du  marquis de Lons, lieutenant du roi en Béarn. Sa seigneurie s’étale sur plusieurs parties de la province allant du Vic-Bilh au Jurançonnais. Elle comporte quatorze moulins, un moulin à forge, une forge, deux vivriers, un bac sur le Gave. Ses biens immobiliers sont importants, on relève six châteaux (dont ceux de Lons et d’Orognen) , cinq métairies...De par la répartition de ses domaines, il produit du vin dans le Vic-Bihl et le Jurançonnais, de l’élevage et de la culture sur la vallée du Gave de Pau. De tous ses biens (426 ha), le marquis retirait environ 100 000 livres, correspondant approximativement à 1 035 000 euros si on prend l’année 1789 pour référence.10

     

     

     

          Prenons l’exemple de la seigneurie de Rébénacq étudiée par Jeanne Valois 11. C’est un fief qui a la particularité de donner droit d’entrée aux Etats de Béarn depuis 1613 et qui deviendra un comté par la suite. Le potentat local a pour titre seigneur des villages de Rébénacq et de Bescat.  Au XVIIIe siècle, la seigneurie s’étale sur un dixième des terres de la paroisse. Mais la seigneurie occupe également plusieurs autres paroisses comme celles de Sainte-Colome, de Buziet, de Lasseubétat, de Sévignacq-Meyrac.  Outre la résidence seigneuriale de Rébénacq , coexistent trois métairies (généralement composées d’une grange, une basse-cour, un jardin , de 34 à 60 arpents de terres « labourables » , de « pâtures », de bois et de fougeraies) , un moulin à farine (droit accordé par le For de Morlaàs assimilé à ce que l’on nomme le droit de  banalité qui obligeait les villageois de faire moudre leurs grains – froment ou milloc  puisqu’il existait deux types de meules - au moulin banal érigé sur une dérivation du Neez) , un foulon (constitué d’une auge et de maillets et qui permettait de battre la laine  tissée, on y ajoutait de l’argile smectique afin de l’assouplir) et une papeterie (affermée à un maître papetier pour une durée de 6 ans). L’auteur nous précise qu’à la veille de la Révolution, 22 maisons du village s’attelaient à la confection d’étoffes de laine et que l’industrie textile constituait la principale activité artisanale du village. A côté de ces moulins, le seigneur en détenait d’autres dans les autres paroisses de sa seigneurie.

     

    Prenons un autre exemple étudié par Christian Desplat , la seigneurie de Billère correspondant à une « maison noble du domenger », ce qui procurait au seigneur le droit de siéger dans les rangs de la noblesse aux Etats du Béarn.

     

    Le « domenger » (origine : dominicacarius) est le propriétaire d’une terre seigneuriale appelée « domenjadure » (origine : dominicatura).

     

     

    Aste-Béon: domenjadure du XVIIe - quadrilatère avec 2 échauguettes

     Partie 1: LA SEIGNEURIE

    Sa réserve est constituée d’une « vingtaine de parcelles de terres tenues noblement « auxquelles il faut rajouter « Vingt-trois censives ou tenures paysannes… en échange de sa terre dont il était propriétaire réel, chaque paysan devait une redevance. » comme par exemple la maison Lassansaa qui devait un cens de « une poule et dix sols payables chaque fête de tous les saints ». Enfin, il faut adjoindre des terres non anoblissantes « travaillées par des paysans. » 12

     

     

     

         De par la détention de la seigneurie et de la protection qu’il leur accorde en théorie, le seigneur exerce des droits seigneuriaux et en ce sens détient le droit de commandement appelé le ban.

     

    Il peut par conséquent forcer ceux qui vivent dans sa seigneurie à utiliser son moulin, son four et son pressoir (les banalités) comme on vient de le voir dans la seigneurie de Rébénacq.  Ce droit de ban lui  concède le pouvoir de décider de la date des travaux agricoles comme la  fauchaison. Il prélève des redevances.

     

    Le paysan outre ces redevances doit d’autres obligations ou droits comme ceux intitulés les « lods et ventes » quand la tenure change de locataire et lors des transactions et les héritages, des journées relatives aux fameuses corvées, des taxes sur le commerce local (octroi…). Il doit également se soumettre à de véritables monopoles détenus par le seigneur comme celui relevant de la chasse… Le seigneur de Rébénacq perçoit entre autres le droit de mayade autrefois échu au vicomte de Béarn qu’il a concédé à d’autres seigneurs. C’est un véritable monopole de la vente  de vin ou de cidre  durant le mois de mai d’où son nom. A Rébénacq, trois fermiers se partagent la fonction de percevoir un impôt sur le vin qui pénètre dans la commune, que l’aubergiste vend ou que le paysan produit. L’argent sera divisé entre le seigneur et la communauté.

     

    Bien entendu il faut avoir à l’esprit que tous les seigneurs ne détiennent pas tous les mêmes droits, cela dépendait des régions, de l’histoire des seigneuries elles-mêmes. Des études se sont penchées pour tenter d’établir des comparaisons entre les montants des loyers de la terre, de la dîme, de l’impôt prélevé par la royauté et les prélèvements opérés par le seigneur, on constate que ces derniers se placent au dernier rang (leurs valeurs peuvent varier de 20 % du revenu net à moins de 5%).

     

    Quelques mots seulement sur le prétendu « droit de cuissage », si on compulse les Fors et les coutumes béarnaises, rien ne transparaît à part deux allusions, l’une en 1538 à Louvie-Soubiron  où le seigneur targuant de son droit aurait «... exigé une nuit des jeunes mariées et un tribut pour chaque premier né. » (et ne visant que quelques familles « questales » du village d’Aas) et l’autre, en 1674, à Bizanos, où un document attesterait de son usage. Mais à chaque fois, on substitue ce dit droit par un tribut comme à Bizanos constitué d’une poularde, d’un chapon, d’une épaule de mouton, d’un pain ou d’une fougasse et dix écuelles de bibarou. 13

     

     

     

         Des nobles sont titulaires d’abbayes laïques. Au Moyen Age, comme le précise Pierre Tucoo-Chala , elle « désigne la dernière catégorie des terres nobles béarnaises, la plus basse . » Ce titre, d’abbé laïque, ne correspond pas à celui donné au chef religieux d’un monastère. Il remonte au Moyen Age, date à laquelle des propriétaires ont édifié des lieux de culte comme une chapelle, un oratoire...et, par voie de conséquence, nommé un desservant et perçu une part des revenus destinés à l’entretien. Puis, la coutume assimila certaines d’entre elles à des terres nobles surtout à l’époque moderne. Le même auteur mentionne que ces abbés laïques « après de longs combats, réussirent à assimiler » leurs terres d’ « abadie » aux domenjadures surtout à l’époque de Jeanne d’Albret 14

     

     

     

         A  côté des droits qu’il perçoit, le seigneur assure la police et détient le pouvoir judiciaire ou ce que l’on peut nommer la puissance publique sous contrôle de la monarchie puisqu’il servait d’intermédiaire entre l’Etat et  la population à la suite des juridictions comme les baillages et les sénéchaussées.  Hubert Méthivier 4 nous rappelle que le seigneur détenait des droits de justice « et tous les profits, matériels, moraux et sociaux qui en découlent : il y a la basse, moyenne ou haute justice, selon l’étendue de la compétence judiciaire du seigneur (et aussi de son ressort bannier) ». On parle de  moyenne et de basse justice pour tout ce qui concerne le pénal

     

    Correctionnel (et défendues par les seigneurs car sources de revenus, il s’agit d’une juridiction traitant de délits ou de litiges de moindre importance mais sanctionnés par des amendes) et la haute justice au pénal (lui procurant le droit de condamner à mort en érigeant une potence mais aussi d’user d’un pilori, d’un carcan , tout ceci obligeant le seigneur de détenir un personnel judiciaire constitué de juges, de greffiers)  mais qui s’amoindrit par l’action de l’Etat. En fait, comme l’écrit Pierre Goubert, le seigneur  a souvent abandonné ce qui concerne la justice criminelle (crimes de sang et délits graves) aux tribunaux royaux  car jugée trop coûteuse et ne gardant le civil, en tout il relève vingt ou trente mille cours de justice comparables à nos justices de paix vu que le tribunal seigneurial arbitre tous les genres de conflits survenant dans sa seigneurie entre les paysans et même entre les censitaires et le seigneur.

     

    Le poids du prélèvement seigneurial diffère. Dans le Sud où le régime seigneurial est peu important, il se révèle faible, peut-être aux alentours de 4%. L’ensemble des droits du seigneur peut atteindre 20 % de son revenu.

     

     

     

         La relation quotidienne entre le seigneur et ses sujets pouvait différer de plusieurs facteurs, de sa présence ou non s’il réside davantage à Versailles par exemple ou qu’il assure une fonction dans l’administration royale, de leur trait de caractère tyrannique (optant parfois pour une attitude distante vis-à-vis de ses sujets en abandonnant la gestion de ses domaines à un fermier ou un régisseur) ou non, allant  s’occuper de manière bienveillante du bien-être des gens ou, enfin, optant pour une attitude d’indifférence …

     

    Revenons aux seigneurs de Rébénacq, ces derniers ne résident pas en permanence sur leurs terres, si on remonte à François de Pas de Feuquières, mort en 1694, il a exercé la fonction d’ambassadeur et, de ce fait, de par sa charge, n’a pu être présent bien souvent. A la fin du XVIIe siècle  et au début du XVIIIe siècle, les seigneurs de Rébénacq  passent davantage de temps dans leurs terres.  On les sollicite pour être parrains ou marraines de jeunes villageois. Par contre, par la suite, une héritière dénommée, Charlotte, épouse Louis Nicolas Le Tellier  en 1733 et réside dans un hôtel parisien, rue de Berneuil. Même démarche pour leur petit-fils, quarante plus tard. Jeanne Valois nous apprend que parfois des conflits ont éclaté entre les châtelains et leurs sujets au milieu du XVIIIe siècle. Elle cite le cas se déroulant en 1767 et qui nous est révélé par un acte notarié. Le seigneur accuse la communauté de Rébénacq de ne point respecter un acte daté de 1762 ayant trait  à des fougeraies. Un partage des communaux ayant été procédé en 1758 en fonction de « bacades » (ou terres) mortes  « dont chacun paye la taille », or le châtelain s’estime  lésé.

     

    Mais les relations entre le seigneur et ses sujets ne sont pas forcément conflictuelles puisque nous avons pour le cas de la même seigneurie, de Rébénacq, des documents qui attestent qu’ils ont accordé des dons pour l’édification de l’église de Buziet en 1733 ou pour soulager les plus misérables comme en 1790 date à laquelle le seigneur Saint-Chamans verse une « rente aux pauvres ».

     

    Du fait de leurs absences, quelqu’un les représente pour les diverses affaires - un régisseur- en 1770 par un dénommé Lagarde demeurant à Pau et en 1783, cette fonction est exercée par son beau-fils, un « bourgeois et négociant de Pau, trésorier du chapitre de Lescar » du nom de Ferrier.  

     

     

     

         Durant le XVIIIe siècle, le régime seigneurial a eu tendance à se régulariser ce qui a poussé les communautés à chercher à se défendre de l’emprise seigneuriale. Ce qui a provoqué chez les seigneurs un souci de prouver par des titres, les fameux « terriers » leur droit de reconnaître leurs exigences ce que l’on appelait la réaction seigneuriale.

     

    Au niveau du domaine seigneurial, la partie concernée par les labours est plus importante par rapport à celle détenue par les prés.  Beaurepaire J.M. 15 rappelle que le seigneur est détenteur de « l’essentiel du saltus. Il dispose de friches importantes. » Si on additionne les forêts, les bois et les prés, le tout est dédié au bétail et correspond une superficie supérieure  à « celle des tenures paysannes ».

     

     

     

     

     

    Notes :

     

     

     

          1-     Goubert,  Pierre, Les Français et l’Ancien régime  tome 1, 

                chez Armand Colin 1991, p. 68.

     

          2-     Méthivier, Hubert, L’Ancien Régime, PUF, coll : Que sais

                -je ?,1968, p. 21.

     

          3-     Gallet, Jean, article « Seigneurie, seigneuries »,

                 Dictionnaire de l’Ancien Régime, dir. Bély Lucien, Editions

                 Puf Quadrige, 1996.

     

          4-     Méthivier,Hubert, op.cit., p. 22.

     

          5-     Soboul A., La France à la veille de la Révolution, Economie

                & Société, 2e édition, revue et augmentée, SEDES, 1974,

                p. 227.

     

          6-     Charpentier E., Les campagnes françaises à l’époque

                moderne, Editions Armand Colin, 2021, p.74.

     

          7-     A.D.P.A. , ms. 4. J. J. 136, Journal du marquis Alexandre de

                Nays Candau.

     

    8-     Desplat, Christian, Pau et le Béarn au XVIIIe siècle, tome 2,

           Editions  J & D. Terres et Hommes du Sud, 1992, p. 575.

     9-     Desplat, Christian, La Principauté de Béarn, Société

            nouvelle d’éditions régionales et de diffusion, Pau, 1980,

            p. 535-536.

    10-  A.D.P.A., Q. 125.

    11-  Valois, Jeanne, La seigneurie de Rébénacq , Revue de Pau et

          du Béarn, n°22, 1995 ; p 215-233.

     

    12-  Desplat, Christian,   Billère, aujourd’hui ville, hier village ,

          revue de Pau et du Béarn, n° 18,1991, p. 66.

     

        13-  Loubergé ,Jean ,  Bizanos dans les siècles passés. Du droit

              de cuissage aux activités de banlieue, Revue de Pau et du

              Béarn, n° 24, 1997, p. 41.

     

        14-  Tucoo-Chala, P., La Principauté de Béarn , p. 524.

     

             15-  Beaurepaire, Pierre-Yves,  La France des Lumières

                   (1715-1789), Collection « Histoire de France » sous la

                  direction de Joël Cornette, Belin, 2011, p. 558.

     

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  • Population béarnaise au XVIIIe siècle

     

                        Natalité- Petite enfance- Emigration

     

     

     

         La famille du XVIIIe siècle est composée en moyenne de 4 ou 5 enfants. Si on part du principe qu’une femme se marie vers 27-28 ans , qu’elle sera ménopausée  après la quarantaine –plus tôt qu’actuellement - , qu’il faut tenir compte de l’allaitement maternel  -qui rend « stérile » une femme durant 2 ans , l’aménorrhée  ou une mise en nourrice - , de la mort potentielle  d’un des deux conjoints (si on se base sur une espérance de vie de 40-45 ans, la durée du couple , lui-même, oscille dans les quinze ans) , elle donnera naissance à six ou sept enfants , c’est-à-dire en moyenne un tous les deux ans et demi ,et, enfin, d’une part minorée des couples ayant eu plus d’enfants ,  la moyenne correspond aux chiffres donnés précédemment . 

    A Bilhères-d’Ossau, on note que pour la période qui s’échelonne entre 1740 et 1779, la « proportion des femmes restées cinq années sans avoir eu d’enfant augmente constamment avec l’âge : elle représente la part la plus importante à partir de 40 ans... », par contre celles comprises dans le groupe d’âges 25-29 ans ayant eu trois enfants en cinq ans de vie conjugale leur proportion est réduite et « atteint un maximum de 16 % ».

    Le même auteur s’est penché sur les conceptions prénuptiales  et constate qu’entre 1740 et 1859, « sur 245 premières naissances, 20 se sont produites à moins de 8 mois du mariage, soit une proportion de 8,1 %. Puis, il note que « 12,9 % des premières naissances issues du groupe d’union 1740-1779 surviennent avant 8 mois ; ce pourcentage tombe à 7,7 % pour le groupe 1780-1819... » Il conclut qu’à la fin du XVIIIe siècle, « la fréquence des conceptions prénuptiales diminue fortement ; cette époque correspond on le sait pour Bilhères aux progrès dans la limitation des naissances... » .2  

     

    Ce qui a surtout fait baisser le nombre d’enfants  c’est l’arrêt précoce des conceptions.  La  pratique de la contraception a été analysée. On connaît  le fameux « coitus interruptus » (mais peu efficace) - un des « funestes secrets et les pernicieux exemples  » -  mais aussi l’usage de drogue ou de recettes (comme un breuvage à base de soufre). Elle s’avère être  bien entendu un frein à ce bond démographique. Les lavements vaginaux et les préservatifs sont aussi des pratiques que l’on use à l’époque notamment en ce qui concerne le condom (constitué par exemple d’intestin de mouton et de consistance relativement épaisse que l’on devait assouplir en le trempant dans du liquide comme du lait) apprécié surtout par les libertins.  L’exemple venu des classes supérieures (noblesse, grande bourgeoisie) où on constate que les

    naissances  durant le XVIIIe siècle passent de cinq à deux en ce qui concerne surtout la noblesse – ce qui est en contradiction avec un phénomène observé par les démographes, celui d’une baisse du mariage de 19,3 ans à 18,4 ans et  avec ce qui se passe chez les classes populaires - se propage très lentement au sein des classes inférieures, des classes urbaines vers les classes rurales notamment lorsqu’ elles se détachent quelque peu  des préceptes religieux et moraux de l’Eglise, ceci à la fin du XVIIIe (ceci alors que l’Eglise condamne toute pratique contraceptive, n’est-ce pas un péché mortel ?).

    Hélène Bergues cite les propos de l’abbé Coyer en parlant des agriculteurs : « Il se répand un bruit peut-être trop fondé que ces hommes grossiers dans le sein même de leur mariage ont trouvé l’art de tromper la nature » 3

    Ces pratiques contraceptives  correspondent  pour l’Eglise à une totale fermeture à la vie.  Elles  ont davantage touchées certaines zones rurales dans la seconde moitié du XVIIIe siècle  puis se sont étendues  à peu près partout dans la décennie 1790-1799. Une des conséquences de cet acte est la mise en valeur de l’enfant dans le couple. Moins d’enfants, c’est davantage de temps pour s’occuper d’eux.  Mais le relâchement des mœurs au XVIIIe siècle sera plus perceptible à partir du XIXe siècle .  Cela n’empêche pas que des cas d’enfants illégitimes ou d’enfants abandonnés   soient constatés, dans les campagnes, le pourcentage gravite autour de 1%, il est un peu plus  fort en ville, à Lille, par exemple où il atteint un chiffre très élevé, 12,5% des baptêmes.

    A Pardies, Delphine Nougué 4, comptabilise trois naissances illégitimes en 1774, deux autres en 1775. Voici ce que l’on peut lire sur le registre : « le 18 avril 1774, née Marie de Cazaubon de Nay, fille illégitime de Jeanne de Casaubon de Nay, sa mère, son père est un passant inconnu. Sa fille nouvellement née a été transportée dans ce lieu pour y être nourrie et baptisée par le consentement du curé de Nay le lendemain ». 5

    A Bilhères, Michel Fresel-Lozey  constate qu’à partir de 1780 qu’une « régression générale des taux de fécondité légitime » a eu lieu, de même qu’une « diminution de la taille des familles et un abaissement du temps de constitution de ces familles » , « un accroissement sensible de l’espacement entre les naissances successives » et, enfin, « une évolution de la fréquence de l’infécondité définitive et son corollaire, une fécondité d’autant plus forte que l’âge au mariage de la femme est plus élevé ». Son analyse lui permet d’en conclure qu’il  y a bien eu  « la présence de pratiques contraceptives ». 6

    Le même auteur note une faible part des naissances illégitimes à Bilhères de l’ordre de 2,1 %. 7

         Pourtant le concile de Trente de 1563 a bien tenté d’interdire les naissances hors mariage, cette proscription sera par la suite renforcée par l’ordonnance royale d’Henri II qui contraindra les femmes (« toutes filles et femmes veuves, lesquelles se seraient laissées séduire et rendre enceintes ») à déclarer leur grossesse  « dans les bourgs et villages au maire ou officier principal de justice, dans les villes au prévôt ayant juridiction ou au lieutenant général du baillage, chacun selon sa condition, dont sera dressé acte… ».

    Ces femmes si elles ne réussissent pas à trouver un mari sont sujettes à l’opprobre de la société surtout si elle vit dans un village où elles sont considérées comme des filles de mœurs légères. Michel Fresel-Lozey mentionne qu’à Bilhères « la proportion des célibataires à 50 ans et plus...progresse..., un net ralentissement de la nuptialité se dessinant dès la fin du siècle... il faut noter cependant un net accroissement du célibat définitif concernant principalement les femmes et ce dès les générations précédant la fin de l’Ancien Régime : 9,5 % de célibataires dans la génération 1700-1729 contre 17,6 % dans celle de 1756-1785. » 8

    Certaines femmes tentent de conclure un accord à l’amiable comme une dénommée Marie Darrigrand qui ne parvient pas à décider Jean de Loustau de se marier. Elle décide de le poursuivre en justice auprès du sénéchal et gagne son procès puisqu’elle obtient 450 livres de dédommagements afin de nourrir et de soigner le bébé. Ceci se passe le 14 février 1708. Quelque temps  plus tard, le fils naturel sera reconnu par le père et l’enregistrera en son nom et, même mieux, contractera un mariage avec Marie Darrigrand le 17 novembre 1709.L’acte notarié ne nous dit pas si Jean de Loustau n’a pas tenté par ce biais de récupérer son argent. 9 Malheureusement pour ces infortunées, cela ne se conclut pas toujours  de cette manière. Plusieurs d’entre elles seront acculées à abandonner leurs enfants. On parle d’enfants « abandonnés » lorsque les parents sont connus, qu’ils les ont élevés mais qui ont dû les abandonner sans que l’on sache plus tard ce qu’ils sont devenus. Tandis que les « enfants trouvés » sont ceux qui ont été exposés dans un lieu en général public comme un hospice par un ou par les deux parents.

     

    Dans ce dernier cas, on n’abandonne pas les nourrissons dans la voie publique si la mère est acculée à la dernière extrémité (naissance non désirée, baisse drastique des revenus, accident),  elle dépose le plus souvent dans le « tour » d’un hospice  comme à Pau où un tambour cylindrique permettait à la mère de rester anonyme, il suffisait  alors d’attirer l’attention de quelqu’un pour reprendre le bébé par une sonnette en toute discrétion. Rouen est la première ville française où le « tour » est utilisé en 1758. La mère laisse parfois  un message (le « billet ») sur le berceau  ou une quelconque indication pensant probablement revenir plus tard le reprendre.  Ou alors elle le dépose devant la porte des notables – à l’occurrence les jurats -, d’une église ou d’une chapelle, d’une maison particulière ... Un trousseau, pour la moitié des cas,  est associé. Toujours à Pau, l’abandon des enfants se déroule surtout en hiver et au printemps, Christian Desplat écrit qu’un seul enfant « exposé » est retrouvé mort (à Paris, 60 % des enfants-exposés  de l’Hôpital des Enfants-Trouvés, institution créée par Vincent de Paul en 1638,  décèdent avant d’atteindre l’âge d’  un an) , il s’agit un nourrisson de sexe féminin âgé de cinq mois décédé « à la sortie du sein de sa mère », l’événement se déroule en juin 1772, le bébé ayant été déposé sur le ruisseau du Hédas. Pour près de 43% des enfants exposés il s’avère qu’ils sont âgés de quelques jours. D’autres chiffres afin d’illustrer ces propos, pour l’année 1789, on dénombre 128 exposés, «  32 avaient moins d’un jour, 26 moins de huit jours, 20 moins de 15 jours, 5 moins de six mois, 5 seulement moins d’un an. » 10

          Le même auteur émet l’hypothèse que ce sont les enfants de sexe féminin qui ont été surtout abandonnés par les parents vu que leur efficacité était jugée moindre pour les grands travaux. Il termine en précisant que l’abandon d’enfant se faisait dans la douleur : « Que l’abandon soit la réponse du désespoir à l’exclusion sociale qu’entraîne l’illégitimité, ou le seul remède des pauvres contre les crises conjoncturelles, aucun doute sur ce point ». 11  

    En effet, si on observe l’allure générale de la croissance économique et celle des abandons d’enfants, elles se suivent, quand la conjoncture est bonne le nombre des abandons diminue lorsqu’elle devient dramatique c’est-à-dire synonyme de chômage, de misère sociale, elle augmente. Il faut y adjoindre également la pression exercée par la famille et la communauté. Qu’adviennent-ils plus tard ? On sait, en ce qui concerne l’Hôpital de Pau, pour l’année 1786, que la moitié des enfants exposés meurent avant d’atteindre leur première année et que 83 % décèderont avant de parvenir à l’âge  de sept ans.

    Le même auteur affirme que l’avortement et l’infanticide sont des pratiques rares. Il rajoute que la « croissance, tant rurale qu’urbaine du taux des naissances illégitimes fit de l’abandon, « l’exposition », le fléau de la fin de l’Ancien Régime » et de citer l’exemple de la commune de Billère dans laquelle « le nombre d’enfants illégitimes l’y emporta pendant plusieurs années sur celui des enfants légitimes ». 12

    Christian Desplat nous cite un exemple de billet laissé avec l’enfant abandonné que les jurats palois conservèrent à partir de 1770 : « Cet enfant est né et baptisé le 12 du mois de mars dont le nom est Bernard, mes sœurs de l’hôpital je vous prie de le faire nourrir, devant Dieu vous serez récompensées. »

     

    On connaît l’œuvre entreprise par Vincent de Paul pour recueillir les enfants abandonnés » notamment par la fondation en 1633 de l’Ordre des Filles de la Charité et, en 1638, de  l’Hôpital des Enfants-Trouvés mentionnés plus haut grâce aux dons provenant des gens de la haute société et du roi Louis XIII qui versera  4 000 livres. Son exemple fut peu ou prou suivi par d’autres villes du royaume. Déjà à l’époque, certaines personnes accusaient ces hospices d’enfants trouvés d’inciter les parents à les abandonner tout en soulageant  leur conscience.

     

         Les registres paroissiaux enregistrent plusieurs cas soit de naissances soit de décès d’enfants illégitimes. Jacques Staes qui a étudié ceux d’Aramits note que dans « dans les quatre décennies de l’Ancien Régime, le nombre des enfants illégitimes ait été particulièrement élevé : en 1767, sur 29 baptêmes, on compte 4 enfants illégitimes ; en 1768, sur 27 baptêmes, 4 enfants illégitimes ; en 1769, sur 24 baptêmes, 4 enfants illégitimes ; en 1784, sur 30 baptêmes, 4 enfants illégitimes ; en 1786, sur 35 baptêmes, 5 enfants illégitimes ». Il rappelle qu’une femme célibataire enceinte se devait se soumettre aux lois et déclarer son état et informer le nom du père devant un jurat. Le curé, quant à lui, lors de l’enregistrement du nourrisson sur le registre des naissances, faisait état de la paternité. Toutefois, certaines femmes ne nommaient guère le père comme cette jeune fille âgé de 25 ans nommée Catherine de Labat originaire de Gastes dans le diocèse de Bordelais qui le 19 mai 1711 « n’ayant pas voulu déclarer le père ; Bernard Bégué, du présent lieu d’Aramits, où elle s’étoit réfugiée, est intervenu et m’a répondu de la susdite fille, me promettant d’en avoir le même soin que si c’étoit sa fille et pour cet effet, il s’est offert pour parrain et sa femme pour marraine ».  13

    Delphine Nougué, dans son analyse de Pardies, comptabilise pour l’année 1774 trois naissances illégitimes et deux en 1775. Elle mentionne l’exemple de Marie de Cazaubon de Nay fille d’un « passant inconnu ». Elle a été baptisée par le curé car elle réside à Pardies auprès de sa mère Jeanne de Cazaubon et de ses parrains vivant également dans la même communauté, Pierre Carrère-Lus et Marie de Loustalet. 14

    Dans certains cas, les parents, par le biais d’un mariage, reconnaissent leur enfant illégitime ce qui advient notamment le 17 août 1764 : « L’an Mil Sept Cens soixante quatre et le dix sept aout ont recu la Benediction nuptialle aux formes prescrites par l’Eglise Paul Castagnet dulieu de St James ..et Jeanne Lamouzé...dud. lieu de St James...sans quil ait apparû d’aucun empechement civil où canonique n’y d’opposition de personne la Ceremonie a été faite par Nous  Curé  sous Signé présents et témoins..., non les Epoux pour ne scavoir a ce qu’ils ont declaré et en presence des mêmes temoins   les dits Epoux ont declaré quil est né d’Eux le premier aout   l’Année Mil sept cens Soixante deux , un Enfant Mâle Appelé Pierre, Lequel ils reconnoissent Comme Légitime  et né Sous la foy du Mariage. » 15

     

         Comme  le monde gravitant autour du village est  assez restreint  et que la faute devient visible assurément soit l’infortunée s’en allait ailleurs notamment en ville soit elle légitimait  par un mariage .Delphine Nougué précise pour le cas de Pardies que la plupart des baptêmes considérés comme illégitimes sont le fait d’étrangers à la communauté venait se réfugier car note-t-elle la conception étant considérée comme non officielle la faute rejaillissait sur la famille. En 1774, par exemple, les parents de ces enfants domiciliaient auparavant à  Monein, Navarrenx, Gan ou Arros. Elle rajoute alors que l’on attribue le nom de l’individu à l’enfant illégitime qui en prend soin.

    A Billère, proche de Pau, le taux du nombre d’enfants illégitimes entre 1693 et 1715 est de 6,1 %  pour atteindre celui, très important, de 30,4 % durant la période 1773-1790. Comme nous l’explique Christian Desplat, Billère est devenu à la fin du XVIIIe siècle « …le lieu de refuge  des rurales fautives mais surtout l’exutoire de l’immoralité urbaine toute proche. » 16

     Dans le milieu rural, une autre stratégie pour diminuer la fécondité réside dans l’allongement des intervalles entre les naissances ou intergénésiques. Une autre explication peut être avancée, vu que les décès d’enfants amorcent une relative baisse, pourquoi continuer  à tenter de compenser comme cela se faisait auparavant ?

         A quelles époques se déroulaient les naissances ?  Majoritairement, à la fin du printemps et au début de l’été, c’est-à-dire en mai et juin, puis, moins intensément, à la fin de l’automne et  début de l’hiver, soit de novembre au mois de février et, enfin, les périodes de la fin de l’été et l’hiver correspondaient à des phases mineures. Les causes sont soit naturelles, soit religieuses (correspondant au rythme saisonnier imposé par l’Eglise aux mariages, un temps liturgique  définit les moments dans lesquels les relations charnelles sont autorisées) ou soit économiques (fin des travaux agricoles les plus éreintants). Le mois où on se marie le plus et où les conceptions sont les plus nombreuses à Pardies est le mois de février. Delphine Nougué l’explique par le ralentissement des travaux agricoles et la présence de  nourritures. Le mois d’octobre suit car les récoltes ont été faites.

    Michel Fresel-Losey a analysé dans le village de la vallée d’Ossau, Bilhères-d’Ossau, les fluctuations saisonnières des conceptions et a constaté que le mois le plus dominant est juin, entre 1700 et 1799, suivi des mois de mai et avril. Par contre, les mois les moins représentatifs correspondent à l’hiver (janvier, février et mars). 17  

    Avant l’accouchement, la future mère continue à vaquer à ses occupations habituelles  parfois même jusqu’au dernier jour, elle tente d’éviter bien entendu tout accident fâcheux mais aussi  celui qui pourrait avoir des répercutions ultérieures comme de regarder une personne atteinte d’un tic et qui immanquablement se transmettrait sur l’enfant. A cet effet, elle doit se protéger elle et son enfant en utilisant soit des talismans ou amulettes qu’elle se procurera auprès d’un sorcier afin de le conjurer du « bisatgle » - ce que l’on nomme couramment le mauvais œil - ou ira en pèlerinage dans une des fontaines  miraculeuses qui existent en Béarn comme à Doumy, lieu de pèlerinage en l’honneur de Sainte-Quitterie. On disposera autour de l’enfant  du sel, de l’oignon, de l’ail...

     

         L’accouchement se déroule le plus souvent à la maison, dans la pièce principale peu éclairée si ce n’est  par la cheminée. Il s’opère rarement à l’extérieur, aux champs...Pas d’hommes (par contre souvent présent à proximité afin peut-être d’aller quérir un prêtre...), seulement les parentes et les voisines (pas de jeunes filles, des femmes mariées ou des veuves) qui assisteront l’accouchée alitée en position assise jusqu’à ce que la position allongée préconisée par les médecins soit adoptée peu à peu. Une matrone, ce que nous qualifions de « sage-femme », participe et par son expérience gère l’accouchement. Cette dite expérience est le résultat de son  observation acquise  auprès d’une autre matrone, d’avoir accouchée elle-même plusieurs fois et par un savoir transmis oralement.   Ce sont souvent des  mères de familles mariées, issues de  véritables dynasties. Sa rétribution  est minime, souvent en nature, voire gratuite.  Ce dit savoir pouvait être dangereux, le crâne était parfois remodelé par ses mains ce qui occasionnait des conséquences désastreuses comme l’endommagement des cerveaux, elle incitait la mère à sauter pour faciliter la sortie du bébé, elle usait de pansements non stériles…

     

     La scène a lieu près du feu pour l’éclairage et la chaleur, le lit et  une chaise renversée afin que l’on l’utilise comme un dossier…Le nécessaire consiste également en des bassines d’eau, des chiffons...des outils qui traînent dans la pièce comme une pelle à feu s’il y a une complication...par conséquent restreint. Le manque d’hygiène est indéniable. Il existe plusieurs pratiques.  Elle opère sans désinfection, pour extraire le nourrisson par exemple elle appuie sur le ventre de la mère. Si l’accouchement ne se déroule  pas « naturellement », que des complications surviennent, la vie du nourrisson ne tient qu’à un fil de par souvent le manque de compétence des sages-femmes.   Elle lui coupe le cordon ombilical (parfois avec les dents), pour ce qui concerne le sexe mâle elle le coupera sur une longueur plus ou moins longue tandis que pour le sexe féminin elle le tranchera au ras. Le reste est souvent enterré au pied d’un arbre.

    Si le nourrisson a un physique jugé désavantageux, il  sera façonné par ses soins vu que l’ossature est encore délicate. 

     

    Pour ce qui est des accouchements, on fait, par conséquent, rarement appel aux médecins et aux chirurgiens.

    Mais  une école de sages-femmes a été fondée en 1783 à Pau. Une femme du nom d’Angélique Marguerite du Coudray , de son vrai nom Angélique Le Boursier, au début matrone puis sage-femme officielle de Louis XV par la suite, écrit un traité sur l’accouchement – Abrégé de l’art des accouchements -,doté de croquis anatomiques en couleurs ,  elle arpente le royaume de France  afin de transmettre ses connaissances à de futures  praticiennes et à des chirurgiens, elle fera des démonstrations à l’Hôpital de Pau, elle formera 5 000 sages-femmes avant de prendre sa retraite. A cet escient, elle utilisait un mannequin obstétrical inventé en 1756 par souci pédagogique, il représentait une femme grandeur nature, confectionné avec du coton jaune clair, du cuir souple et de véritables os et comportant une matrice. De plus, une poupée avec un corps souple était reliée au mannequin par un cordon ombilical. 

    En ce qui concerne Pau, ce sont les Etats de Béarn qui prennent l’initiative en 1785 de lancer un concours afin d’employer un professeur capable de dispenser des cours. C’est un palois qui est choisi du nom d’Adéma. Puis se pose le problème délicat de décider de l’utilisation soit du fameux mannequin conçu par Mme du Coudray soit de la « matrice de verre ». La solution est vite trouvée, on se saisit du mannequin laissé à Auch par la sage-femme, une poupée de son. L’école forme, entre 1786 et 1788, quarante personnes et on en ouvre une autre à Oloron. 18

    En général, dans le reste du royaume, elle donnait ses leçons pendant une période de deux mois puis ses élèves devaient se former auprès de chirurgiens durant deux semaines.

    Mme du Coudray avait reçu une mission de la part du roi –elle obtient un brevet royal en 1759 -favoriser l’essor de la population en apprenant à des femmes peu expérimentées notamment dans le monde rural de pratiquer l’accouchement sans aucun risque. Elle même avait obtenu un diplôme du Collège de chirurgie. Afin de se déplacer seule parmi les hommes, surtout lors des premières années, elle avait emprunté ce nom noble. En 1767, une pension annuelle octroyée par le roi s’élève à huit mille livres, de plus vient se greffer une pension de retraite qu’elle prend à l’âge de soixante-sept ans. Elle a formé près d’une dizaine de milliers de sages-femmes sur près d’une quarantaine de villes à travers la France. 19

    Au même moment, des instruments apparaissent comme les forceps...

     

     

     

         Le baptême, le premier des sept sacrements catholiques, a lieu dès les premiers jours (le jour même ou le lendemain si possible) du fait de la forte mortalité infantile afin que l’âme du bébé ne puisse point errer jusqu’au Jugement dernier et devenir un enfant de Dieu. Par principe, c’est un sacrement qui a pour mission d’annihiler la tache originelle. Mais il symbolise également un « rite de socialisation ».

    Ce qui explique aussi que lors de l’accouchement si le nourrisson meurt la « matrone » peut administrer le sacrement du baptême par ondoiement  si elle a été agréée par le curé. C’est le cas à Pardies le 9 février 1780, la sage-femme  baptise Jean Laulhé, fils de Jean Laulhé et de Jeanne Camy .Toujours dans la même paroisse, le 6 octobre 1778, on peut lire dans le registre des naissances : « ...est né raymond de toulet, fils illégitime des ms jean de toulet et catherine de brèque de ce lieu ses père et mere ; le d : fils a été Baptisé d’abord ...par la Sage femme de ce lieu à cause ...de sa mort et les cérémonies de leglise ayant été..., le même jour de la reception de Son Bapteme , par le curé.. ».20   On connaît les noms des sages-femmes qui opéraient dans la communauté, Marie Clos et Marie Vergé de Saint-Abit.

     

     Autre exemple pris dans les registres d’Orin. « Ce Lundy vingt Cinquième du mois D’avril  mil Sept Cen Soixante quatorze  est né et a été ondoyé a Cause du peril de mort un garçon qui mourut D’abord après londoyement  fait par Catherine de Labaraque femme Sage d’Orin, né du légitime mariage de jeanpierre hounie du lieu D Esquiule et de marguerite de Laborde de Préchacq en Josbaig habitan chéz r… dorin Laboureur de profession ainsi qu’il nous Conte par l’examen que nous avons fait  de lamanière dont a été administré ledit ondoyement par laditte Catherine de Labaraque , femme sage… ».  21 

    Dans le registre d’Arette on peut lire une mention du serment prêté devant le curé permettant à la sage-femme le droit d’exercer sa fonction. Nous sommes le 17 mars 1705 : « par moy pretre et vicaire d’Arète et Le sr Benedit, chirurgien Soubs Signez  chacun en ce qui regarde notre ministere, a Eté examinée Catherine de Betbeder, dud. lieu, pour voir si elle étoit capable d’assister Les femmes dans Leurs acouches et, après son examen, m’ayant preté serment de fidélité sur les sacréz Evangiles des s’acquiter dignement de tout ce qui Regarde cette fonction commune sage femme doit faire tant pour la Santé de la Mere que pour le Salut de L’enfant, avec toutes Les précautions possibles, en bonne chretienne, Je lui ay donné pouvoir d’exercer cette charge. Temoin Jean de Rachou  qui a Signé avec les det.Sr , De Benedit et moy ».22

    A Morlaàs, à la lecture des registres de naissances de la paroisse Saint-André, la sage-femme nous apparaît par contre plus stricte sur la pratique des ondoiements. S’il y a un doute, elle baptise sous condition comme on peut le constater : « Le quatrième Juillet mil sept cens trente Sept a esté baptisé dans leglise st andré de morlaas sous condition le nommé pierre dans la maison de ...de cette paroisse le quinzième de juin dernier et Lad. de pedebeye ...sage femme nous ayant declare quelle doute de la validite du bapteme dud. Pierre attendu que lorsquelle elle luy donna leau du bapteme il nestoit pas encore né et estoit encore dans le ventre De sa mere ... ».23 

     

    S’il meurt après le baptême, il acquiert la béatitude éternelle. Les bébés n’avaient pas de nom, ils n’appartenaient ni dans le monde des vivants ni dans celui des morts. Ils allaient dans les limbes. On les excluait lors de leur inhumation de la terre consacrée par conséquent du cimetière paroissial. Ce qui expliquait qu’on les enterre chez soi c’est-à-dire dans son jardin par exemple.  Il arrivait que l’on puisse les inhumer dans une partie du cimetière non consacré.

     

    L’acte se déroule le jour même de  sa mort également. Encore à Pardies, le 27 juillet août 1774, « est décédé louis de Beseille de pau, fils illegitime de srs Beseille  et lardos de pau, ses père et mere , agé de 20 mois , muni du sacrement de Bapteme ; son cadavre a été inhumé 13 heures apres son decesdans le Cimetiere de cette église   , avec les Ceremonies Celestes , pratiques en pareille fonction innoscente , faite par le curé... » .  24 

    Delphine Nougué cite un autre exemple pris dans le même registre de décès de Pardies, nous sommes le 23 novembre 1774, un enfant mort-né est baptisé. « ...décès de Marie Nougues de Pardies avant sa naissance complète, après avoir été baptisé ; la mort est survenue avant l’extraction de sa tête. » 25

     

    Si le nourrisson réussit à survivre même après l’administration du sacrement par la sage-femme, le prêtre « prend la main » et organise lui aussi la cérémonie. 

    Le synode d’Avignon de  1337 exigeait que le baptême se fasse  vingt-quatre heures après la naissance, le concile d’Aix de 1585 allait plus loin puisqu’il menaçait d’excommunier les parents s’ils ne baptisaient point leur nourrisson avant le huitième jour.  Lors de la cérémonie, sont présents les parrains et les marraines, leur importance est importante puisqu’ils sont considérés comme des seconds parents. Ils représentent les « témoins de la foi en Jésus-Christ » .A ce titre, de par le symbolisme que représente la tenue du bébé sur les fonds baptismaux par eux, ils auront la charge de remplacer les parents s’ils décèdent. Ils devront assurer l’éducation religieuse de l’enfant et accompagner leur filleul (le) à chaque sacrement. A eux leurs incombent les tâches d’offrir les cadeaux traditionnels que l’on donne le jour du baptême, de leur procurer de l’amour à partir de ce moment.   Qui sont-ils ? En général, on les choisit parmi la famille (frères ou sœurs, oncles…) ou on opte pour le seigneur.

    Par exemple, en 1786, à Pardies, le seigneur Samson François de Péborde et sa fille, Josèphe de Péborde, sont le parrain et la marraine de Josèphe Bergerou. Comme ils ne sont pas présents lors de la cérémonie, ils sont représentés par deux habitants de la localité dont un jurat. On remarque que ce n’est pas la première fois, Delphine Nougué précise que cette pratique symbolise le besoin de protection surtout lors des périodes difficiles.

    Ce jour de baptême qui permet au nourrisson d’être préservé par le biais de l’eau bénite et de l’huile sainte est tellement perçu comme important que les parents y adjoignent d’autres rites. Faire bien attention à ce que les cloches sonnent, par exemple, par crainte que l’enfant devienne sourd ou alors s’assurer que le cordon ombilical ne se perde pas, on l’enterrera sous un rosier afin qu’il soit beau et qu’il évolue en bonne santé, ou alors enfoncé dans une entaille de la poutre maîtresse de la maison et surtout pas le brûler sinon on risquerait de provoquer sa mort à l’âge adulte, passer plusieurs fois sous le dolmen de Busy....

    Quelques mots sur le rite du « desbatiat » ou le « débaptisé », les Béarnais redoutaient que le nourrisson soit enlevé par les sorcières et lors du Sabbat soit débaptisé et appartienne dorénavant au Diable.

     

     

         Le choix du prénom n’est pas pris au hasard. Le Concile de Trente oblige de prendre des prénoms de personnages  canonisés, pris dans le Nouveau  Testament, de martyrs, de saints, Ainsi pensait-on que l’on établissait une relation privilégiée entre l’enfant et le saint , lui servant d’exemple et le protégeant, on dit que l’on place l’enfant sous le patronage du saint.  L’Eglise tente d’éviter que l’on prend des prénoms ridicules ou profanes  comme Apollon, Diane…et que l’on s’inspire de saints symbolisant plutôt une piété profonde vis-à-vis du créateur. Chez les protestants, on opte davantage pour les prénoms que l’on trouve dans l’Ancien Testament ceci du moins avant la Révocation de l’édit de Nantes car par la suite ils doivent montrer profil bas. On donnait les prénoms des parrains et marraines en les masculinisant ou les féminisant. Les parlementaires cherchèrent à se singulariser du reste de la population en donnant à leurs progénitures des nouveaux prénoms ou très peu usités tels Angélique pour les filles ou encore certains issus de l’Antiquité comme César. Les prénoms issus des patronages locaux sont de moins en moins choisis tels Quitterie, Bertrane…

    Le prénom de Marie pour les filles est celui qui domine (suivie de Jeanne, Anne...), pour les garçons on opte plutôt pour ceux des Apôtres comme celui de Pierre.

    Ce sont les marraines et les parrains qui sont, en principe,  ceux qui choisissent le prénom. Il n’est pas rare comme à Pardies que les parrains ou marraines donnent leurs prénoms. Prenons l’exemple du baptême de « Guilhaume Camarade »  le 3 septembre 1786 parrainé par un dénomme « Guilhaume moncla ». 25

    Lors du baptême, la mère n’est point présente vu qu’elle est considérée, de par son état, impure. Par contre, quarante jours après l’accouchement s’il s’agit d’un garçon et quatre vingt si c’est une fille, elle a la possibilité, lors de sa première sortie avec le nouveau-né, de faire célébrer une messe dite de relevailles afin de se purifier. Il s’agit à la fois d’une messe et d’une bénédiction, la mère tenant un cierge allumé tout au long de la cérémonie (rappel de la venue de la Vierge Marie au Temple de Jérusalem lors de la cérémonie de la purification en application de la loi de Moïse

     (voir Lévitique XII et Luc II, 22-24 ).

    A ce stade, il est capital de faire enregistrer le nouveau-né dans les registres paroissiaux. Ces derniers sont édictés par l’ordonnance royale de Villers-Cotterêts de 1539 qui ordonne la tenue des baptêmes dans chaque paroisse, complétée par celle de Blois de 1579 qui élargit aux mariages et aux sépultures. Plus tard, en avril 1667, l’ordonnance royale surnommée « Code Louis »  règlemente précisément la tenue des registres. L’article 8 est bien clair, deux registres seront tenus chaque année et comporteront pour le premier (constituant la « minute ») les actes de naissances, de mariages et de décès, les signatures des témoins (« demeurera aux mains du curé ou vicaire » tandis que le second (« la grosse » ou la copie) « sera porté au greffe du juge royal ».  Les deux registres « seront fournis annuellement aux frais de la fabrique avant le dernier décembre de chaque année ». L’article 13 menace les ecclésiastiques, si les règles ne sont pas respectées ils seront punis par vingt livres d’amende. L’on sait que les curés ne suivront pas scrupuleusement le règlement jusqu’à ce que l’ordonnance royale de 1736 édicte de nouvelles prescriptions.   Il est stipulé que les curés devront tenir deux originaux, l’un sur papier timbré sera destiné à être préservé par le prêtre et, l’autre, sur papier ordinaire sera confié au greffe. Cette fois-ci, les règles seront respectées. Dix années plus tard, en 1746, on décide que les registres soient séparés.

     

    Qu’en est-il des baptêmes protestants ? Depuis l’édit de Révocation de 1685  signé par Louis XIV , les protestants sont tenus de faire baptiser leurs enfants dans la foi catholique sous peine de payer une amende s’élevant à 500 livres  en plus de subir l’enlèvement du nourrisson.

    Les Huguenots n’ont d’autres choix soit de se soumettre et de faire baptiser leurs enfants dans la foi catholique soit de « résister » à leur manière. Certains ne sont point présents lors de la cérémonie, ils délèguent à  la sage-femme et au marguiller (personne membre du conseil de Fabrique qui a pour fonctions de gérer le mobilier de l’église et de s’occuper du bon déroulement des rites) les rôles de parrain et marraine. D’autres font baptiser leurs enfants dans la clandestinité, au Désert.

    Les autorités incarnées par le Parlement de Navarre  sont plus ou moins tolérantes, entre 1756 et 1778, elles n’enregistrent que 7 procédures au sujet des baptêmes. Marie-Hélène Grintchenko qui a étudié les baptêmes protestants au XVIIIe siècle  écrit que cela représente « 0,3% des sacrements célébrés au Désert » durant cette période. Elle rajoute, que pour la plupart d’entre elles n’aboutissent guère, par contre elles se montrent moins intraitables vis-à-vis des « pasteurs, les assemblées et les mariages du Désert ». Comme en mars 1778, date à laquelle les dragons du régiment de Belzunce sont mandatés par l’évêque de Dax afin de  poursuivre les pasteurs Berthezène et Marsoo à Orthez mais ces derniers réussissent à leur échapper. Lors de cette dernière dragonnade, leur mission consiste également à rechercher et à incarcérer ceux qui fournissent leurs granges aux huguenots afin qu’ils puissent s’y rassembler et à y apposer des scellés.

    Les curés sont également soucieux de faire pression sur les protestants, la même auteure rappelle par exemple que souvent ils écrivent dans les registres paroissiaux au sujet des bébés morts, nés de l’union entre des huguenots mariés au Désert, que ce sont des bâtards au moment des obsèques. Elle précise aussi qu’ils « allèrent même jusqu’à invalider des baptêmes protestants pour pratiquer des rebaptisations, contre l’avis de la hiérarchie catholique », pourtant le baptême « avait été un trait d’union fragile entre les deux communautés chrétiennes de la Révocation à la reconstitution des Eglises réformées. Le curé Suhare se fait remarquer, à Osse, par sa virulence à l’encontre des Huguenots puisqu’on constate une baisse du nombre des baptêmes protestants à partir de 1766.

    Après l’arrivée des pasteurs, le baptême devint une cause de conflits constants entre catholiques et protestants.

    La même auteure constate « un léger tassement du nombre des baptêmes au cours des ans «  après 1766.Puis dans la décennie avant 1789 la tendance augmente. La persécution n’a point trop d’impact à la fois sur les baptêmes et les mariages.

    Voilà les chiffres tirés d’un tableau dressé par elle : entre 1756 et 1768, 1560 baptêmes, entre 1769 et 1781, ils baissent pour atteindre le nombre de 1173 et, enfin, leur chute s’accentue entre 1782 et 1793 puisqu’on obtient le chiffre de 941. 26

     

    En ce qui ce qui concerne, la religion protestante, à partir du milieu du XVIIIe siècle , et notamment depuis le synode de Béarn du 17 juillet 1758 et les retours de pasteurs dans la province, la Réforme protestante renaît de plus en plus. Déjà durant la phase de 1745 à 1751 on note une recrudescence de la R.P.R. grâce à l’action et aux prêches lors d’assemblées de certains paysans notamment à Bellocq et à Salies-de-Béarn.  Tout cela scandalise bien entendu des prêtres catholiques conservateurs comme l’abbé Bonnecaze .N’écrit-il pas pour l’année 1755 : « ...ils commencèrent par se lever contre la police et les édits de sa majesté.Ils firent des assemblées considérables et nombreuses aux environs de Salies, dans le bois de Bellocq et à Orthez...On y alla célébrer des mariages, faire baptiser les enfants. On donnait au ministre, les riches 24 l. pour les mariages, et les autres 12 l. et pour le baptême 6 l. les protestants  y accouraient de dix et douze lieues, même beaucoup de catholiques y allaient par curiosité. Du commencement, les ministres furent fort modérés dans leurs discours, afin de mieux faire goûter le venin de leur doctrine et faire des prosélytes. »

     

         Louis XVI signera l’édit de tolérance -appelé de « Versailles » - le 7 novembre 1787 qui sera enregistré par le Parlement le 29 janvier 1788. Il permettait aux protestants de bénéficier de l’état civil. Christian Desplat recense dans la même année la présence en Béarn de 1 083 familles protestantes soit environ 4 742 individus. Il précise qu’il s’agit « presque exclusivement » de personnes à majorité « populaire » et ruraux. 27

     

         Le baptême déroulé, on va se restaurer à la maison.

    Il est de coutume dans les régions que la mère ne quitte pas  la maison durant quarante jours et s’astreigne à ne point commettre certains actes comme avoir des relations sexuelles avec son conjoint, d’aller au puits  chercher de l’eau...On pense qu’elle est souillée, impure à la suite de l’accouchement.

     

     

         Quant au nourrisson, durant cette période propice à des dangers (troubles digestifs, toxicose…surtout en période estivale) accidents de tout ordre on tentait d’en absoudre les nouveau-nés. Ces vicissitudes  pourtant pouvaient survenir à tout moment (un enfant sur quatre meurt dans la première année). Comme ils vivaient constamment au contact des adultes et des autres enfants dans les quelques nombreuses pièces de la maison, il pouvait mourir étouffé dans le lit des parents s’il manquait un berceau malgré les recommandations religieuses , on l’emmaillotait sans savoir que cela pouvait le rendre bossu afin que ses membres  ne se déforment pas , on le lavait pas pensant que la crasse serait une bonne protection contre les attaques de l’extérieur (par exemple on ne nettoie pas la tête car on croit que la crasse est un engrais), on le surveillait moins durant les gros travaux  d’autant plus que le lait de la mère pour les enfants de moins de 1 an souffrait d’un manque de qualité ... 

    L’utilisation du maillot – bande de tissu enroulé serré autour du corps - qui nous apparaît actuellement comme une contrainte est déjà combattue sous la Renaissance, au XVIe siècle , par des médecins  qui s’insurgent par la même occasion contre ce modèle de perfection qui pousse les accoucheurs ou les accoucheuses à manipuler les crânes pour qu’ils répondent à un canon soit  en le déformant à l’instant soit en faisant porter au nourrisson des bonnets et des béguins.

     

     

        Si le couple ne parvient pas à avoir d’enfants, cette absence est mal perçue vu que le problème de la succession se pose alors. Déjà, cette crainte a lieu au bout d’un an d’union Les gens soupçonnent que la stérilité est due à la femme, on se moque d’eux. Le couple encourt alors à des remèdes, à des potions ou à la vénération de saints comme saint Léonard.

    Plusieurs enfants sont confiés à des nourrices habitant pour ceux qui habitent en ville dans des villages alentours. Cette coutume se développe surtout au XVIIe d’après Philippe Ariés malgré le fait qu’elle soit combattue par les éducateurs moralistes soucieux que les nourrissons soient nourris par leurs mères.

    Utiliser du lait des vaches était davantage le lot des pauvres posant alors le problème de l’hygiène notamment lors de sa récolte et de son ingurgitation par le bébé. Cette dite coutume persiste jusqu’à la fin du XIXe siècle dans les catégories sociales aisées – aristocratie et bourgeoisie - ceci malgré les mises en garde des philosophes des Lumières comme Rousseau. D’après le même auteur ce sont « les progrès de l’hygiène, de l’asepsie «  qui écarteront les dangers liés au lait animal.28  

    Le sevrage s’effectue surtout au moment de la poussée des premières dents, c’est-à-dire durant une période comprise entre vingt et trente mois.  Alors la mère, pour les nourrir, leur donne des bouillies (pas toujours aussi  élaborées...) et, pour boire, des eaux pas toujours exemptes de pollution. Ces effets si on les ajoute aux chaleurs estivales nous ramènent à ce que nous avons abordé préalablement le fort taux de mortalité infantile.

     

    La superstition, l’ignorance...poussaient les Béarnais à repousser le mauvais sort des « brouches », les actes malfaisants du Démon  ... On disposait, comme cela a été plus haut, près de lui de quoi le protéger, du sel, du pain et de l’ail en occurrence. Il existait toute une panoplie de rites relatifs à la lutte vis-à-vis des sortilèges surtout lors du baptême. Dans certaines contrées de France, on pend à son cou des dents de chien, on invoque des saints sensés le protéger tel saint Blaise qui aurait la faculté de guérir des maux de gorge.

     

         Philippe Ariès écrit ,d’une part, que la découverte de l’enfance débute probablement au Moyen Age, au XIIIe siècle , mais surtout à partir de la fin du XVIe siècle  et au XVIIe siècle et, d’autre part,  que dans le passé l’idée d’enfance « était liée à l’idée de dépendance » et nous rappelle que les mots « fils, valets, garçons » correspondent à des « mots du vocabulaire des rapports féodaux ou seigneuriaux de dépendance ». Il mentionne alors qu’on « ne sortait de l’enfance qu’en sortant de la dépendance... » ce qui explique que ces dits mots ne concerneront que les « hommes de basse condition » soumis comme les « laquais, les compagnons, les soldats. » Pour ce qui est des petits enfants, le même auteur précise qu’en France on emprunte alors à d’autres langues étrangères ou « à des argots d’école ou de métiers » des mots  comme, par exemple, celui de l’italien bambino qui devient bambin ou du provençal pitchoun employé par Mme de Sévigné. Philippe Ariès note qu’à l’époque la différence entre l’enfance et l’adolescence n’est pas nette, toutefois il lie adolescence et virilité. Le conscrit au XVIIIe siècle correspond à l’adolescent. 29

     

    On posait le berceau par terre dans  la salle commune des maisons rurales – surtout des gens peu fortunés -  et ceux qui veillaient sur le nourrisson œuvraient à d’autres tâches comme la confection de  panier, des petits travaux comme la dentelle. Si l’enfant se manifestait on poussait du pied le berceau.  Dans certaines contrées,  un des parents s’attachait une ficelle autour d’un des poignets et reliait l’autre bout au berceau afin de bercer le nourrisson. Des chansons afin de les endormir leur étaient chantaient, le plus souvent sur des musiques douces, qui souvent comportaient des allusions aux aliments.

    Le bébé de par cette proximité baignait dans la chaleur humaine, regardait les gens vivre quotidiennement.

    Un préjugé propre à la relation que les parents entretenaient avec leur enfant persiste encore. On imagine à tort qu’en raison d’un  taux de mortalité infantile élevé l’amour parental était peu significatif.

    Autre idée reçue qui corroborerait ce point de vue réside dans  le sentiment d’« utilité »  que les gens percevaient vis-à-vis  des enfants. En effet, chez les nobles, l’enfant revêt une grande importance vu qu’il assure la continuité du lignage et chez les classes populaires il constitue la main d’œuvre nécessaire dans l’agriculture et une « l’assurance vieillesse ». Mais cela n’exclut guère à un attachement certain. Jacques Gélis écrit : Il est difficile de croire qu’à une période d’indifférence à l’enfance en aurait succédé une autre pendant laquelle, le « progrès » et la « civilisation » aidant, l’intérêt l’aurait emporté...L’intérêt ou l’indifférence à l’égard de l’enfant ne sont pas vraiment la caractéristique de telle ou telle période  de l’histoire. Les deux attitudes coexistent au sein d’une même société... ». 

    Le même auteur mentionne qu’à partir du XVIe siècle  l’homme porte « un autre regard sur lui-même », il cherche à mieux se soigner et à guérir. « Les liens de dépendance vis-à-vis de la parenté ...se distendent ; le corps gagne en autonomie, s’individualise... ». Comme l’homme sait que son corps est « périssable », il le perpétue à travers celui de son enfant qui prend alors « une place aussi importante dans les préoccupations du père et de la mère : un enfant qu’ils aiment pour lui-même et qui fait leur joie de chaque jour. »  Où le changement s’est-opéré ? D’abord en ville  puisque c’est là que la famille centrée autour des parents et des parents s’est implantée peu à peu à partir du XV e siècle. 30

     

     

    L’enfant va évoluer dans deux sphères, l’une « privée » et l’autre « publique ». Il est né  entouré de personnes proches mais également issues du voisinage, il déambulera  dans des lieux publics comme l’église, la place...

    L’enfant, s’il parvient à l’âge de neuf ou dix ans, - voire même sept ans (la moitié d’une classe d’âge décède  avant les 10 ans) - voit la perception que les adultes ont de lui se modifier. Si auparavant les enfants des deux sexes étaient élevés ensemble par les soins des femmes (ils portent une robe unisexe), on les sépare, les garçons seront pris en charge par les hommes.   L’Eglise considère que l’enfant rentre dans un âge dit de raison, qu’il est capable de suivre le catéchisme vu qu’il est apte à juger. C’est l’âge de la première confession pour la même explication, plus tard vers douze, treize ou -quatorze  ans – selon les  diocèses - on lui administrera la première communion. Le catéchisme a lieu le dimanche la majeure partie du temps sous forme de question et de réponse à l’oral. En ce qui concerne la première communion solennelle, elle se pratique lors d’une cérémonie collective  qui a lieu durant la semaine de Pâques, plus précisément les lundis ou les mardis, ou encore lors des dimanches qui succèdent. En 1215, lors du  quatrième Concile du Latran il est décidé que la première communion soit rapportée au moment dans lequel on considère que l’enfant est à même de faire la différence entre le pain ordinaire et le pain eucharistique (ou hostie devenue le corps de Jésus après la prière consécratoire), par la suite lors du Concile de Trente de 1545  on en fera une cérémonie solennelle vers les âges mentionnés plus haut, un véritable rite de passage. D’ailleurs tout concourt lors de ce jour pour qu’il soit lumineux et qu’il revêt pour l’enfant un jour mémorable : l’habit, le cierge, la messe...

          Les garçons et les filles, séparés, que l’on a revêtu des plus beaux habits tiennent un cierge à la main.  Cet âge crucial n’est pas seulement ressenti comme tel par l’Eglise mais aussi par ceux qui entourent l’enfant puisque ses parents l’habillent  avec une tenue d’adulte alors qu’à partir du sevrage on avait délaissé le maillot pour revêtir le bébé le plus souvent d’une robe unisexe.

     

     On lui confie des tâches d’adulte comme l’entretien de la cuisine pour les filles et les travaux agricoles pour les garçons toutefois adaptés à leur morphologie comme l’usage de la houe au préalable avant de lui confier celui de la charrue. On lui confie la garde de troupeaux.

          La ségrégation sociale entre les enfants est plus vive en ville vu que le cursus éducatif les sépareront entre ceux que l’on inscrira au collège et plus tard à l’université et ceux qui suivront un apprentissage. L’autorité du père devient pour le garçon plus importante à partir de sept ans comme on vient de le voir du fait que celle de la mère est amenuisée, on y a vu la renaissance du droit romain, l’incarnation de l’image de Dieu le Père. Mais il est de son devoir d’être celui qui éduque.

     

    Après que l’on ait quitté le maillot à l’enfant, Philippe Ariès écrit en ce qui concerne celui qui naît dans une famille aisée , aristocrate ou bourgeois , au XVIIe siècle  , qu’il n’est plus revêtu d’habits de grandes personnes comme dans le passé. On lui met des vêtements plus appropriés à son âge. Les filles sont « vêtues comme de petites femmes ». Par contre, il constate que les enfants portent « deux larges rubans...attachés à la robe  derrière les deux épaules, et qui pendent dans le dos »  les différenciant des adultes, ils disparaîtront à la fin du XVIIIe. 33

    Pour lui, on perpétue l’usage des « traits des coutumes anciens que les grandes personnes avaient abandonnés, parfois depuis longtemps. C’est le cas de la robe, ou habit long, des fausses manches. C’est aussi le cas le cas du béguin des petits enfants au maillot... ». Le passage du vêtement d’adulte à celui de l’enfance touche d’abord les garçons, surtout dans les familles bourgeoises ou aristocratiques car les ceux issus des classes populaires s’habillent encore avec le costume des adultes.

                                 

        Autre phénomène qui a touché la population béarnaise, l’émigration. Elle  remonte assez loin dans le passé, notamment au Moyen-Age quand les chevaliers, les commerçants et autres franchissaient les Pyrénées assez aisément soit pour guerroyer au moment de la « Reconquista » soit pour  des raisons économiques. Bien entendu, elle variait en importance lorsque le Béarn subissait des crises démographiques et économiques. L’Espagne restait un lieu d’accueil privilégié pour ces  Béarnais désireux  d’améliorer leur niveau de vie. Les régions les plus prisées restaient l’Aragon, Valence, l’Andalousie (Cadix) et la capitale espagnole, Madrid. Henry de Charnisay  34 écrit que la plupart des émigrants étaient issus des classes pauvres et louaient leurs bras dans les ports, sur les routes les « tuileries et les briqueteries où ils étaient très appréciés » ou alors s’adonnaient dans l’agriculture.  Ils travaillaient pour une durée équivalente à la moitié d’une année pour revenir chez eux en hiver. Ces migrants sont d’origine paysanne comme on vient de le voir mais aussi bourgeoise comme les ces négociants oloronais qui décidaient d’envoyer leurs fils en Aragon ou même au Portugal. Il cite notamment l’exemple des paysans de la vallée d’Ossau qui sont réputés comme « châtreurs de bestiaux ».  Quelques émigrants réussirent à établir des carrières importantes comme ce Joseph de Fondeville originaire d’Accous à qui on  décernera le titre de marquis de la Torre et à qui on confiera le poste d’intendant en Estrémadure.

    A Aydius naquit un dénommé  en 1754 Pierre Loustaunau, véritable aventurier qui de berger devint général – profitant des rivalités entre les princes locaux et du talent de militaire révélé en accostant aux Indes, ce qui lui fera d’ailleurs perdre une partie de sa main gauche - puis un personnage important. Il est détenteur d’un palais à Accra, est surnommé « le chef invincible à la main d’argent ». Fortune faite, il reviendra en France avec sa famille en 1793 et achètera le château de Lacassagne près de Castelbajac. N’oubliant pas le Béarn, il acquiert au nom de son épouse, la forge d’Abel où il installe le premier haut-fourneau dans les Pyrénées  à la place des traditionnelles forges catalanes. 35 Il est nécessaire de préciser que Pierre Loustaunau n’était pas un cadet mais un héritier, ce qui n’est pas courant.

    En ce qui concerne les cadets, nous connaissons plusieurs d’entre eux qui se sont rendus célèbres. Par exemple, le frère de Jean  Laclède, maître des Eaux et des Forêts en Béarn, Pierre. Il naît à Bedous le 22 novembre 1729, étudiera d’abord au collège des Jésuites à Pau et à la faculté de droit de Toulouse. Il deviendra le fondateur de la ville américaine de Saint-Louis. Son père était avocat au Parlement de Navarre. D’abord  militaire (et grand escrimeur) – dans la compagnie d’Aspe -, Pierre quitte la France pour l’Amérique du Nord et s’installe à la Nouvelle-Orléans en 1755.Il devient officier dans l’état-major du colonel Gilbert-Antoine de Saint-Maxent qui reçut de la part du gouverneur de Louisiane, de Kerlerec,  le monopole de traite des fourrures avec les Amérindiens dans la Haute-Louisiane (englobant le Haut-Mississipi et le Missouri). Gilbert-Antoine de Saint-Maxent s’associe avec Pierre dans l’intention de s’enrichir et créent tous les deux une compagnie commerciale pour une durée de dix ans. C’est Pierre, accompagné de vingt-sept autres aventuriers et chargé de fourrures, qui quitte la Nouvelle-Orléans en 1763 en remontant le Mississipi. Ils atteignent le lieu qui va devenir la ville de Saint-Louis – en l’honneur du roi de France Louis XV ou Louis IX dit saint Louis , source de débats -  au bord du Missouri confluent du Mississipi, véritable colonie qui sera peuplée de près de 1 000 habitants en 1778, date de sa mort, et 1200 vers 1800. Mais depuis 1770, la ville était aux mains des Anglais. Actuellement, afin de commémorer sa mémoire un quartier de la ville porte le nom de «  Laclede's Landing » au bord du Mississipi et une statue a été dressée face à l’hôtel-de-ville.36

    On pourrait encore citer le cas de Jean Lajusan-Laclotte, natif de Salies-de-Béarn narré par Pierre Tucco-Chala, ou encore de Prudent de Casamajor né à Sauveterre-de-Béarn. 37

     

     

         D’autres émigrés ne sont pas issus de monde du travail mais de l’aristocratie. Pierre-Tucco Chala écrit qu’il s’agit « d’une colonisation en grande partie aristocratique menée par des familles aisées dont les membres partageaient leur vie entre les îles et le Béarn ». Il cite alors des exemples comme ceux des Darracq-Casaux de Gan ou les Perpinaa de Pau. 37

         Les zones béarnaises de départ  les plus importantes  étaient celles d’Oloron, de Monein…Mais les Béarnais n’hésitaient pas non plus comme les Basques à braver les mers et les océans  pour aller s’installer dans de lointains continents comme l’Amérique et plus spécialement les Antilles. On retrouve là l’appât de l’argent, le désir de faire fortune. Nous détenons un recensement des émigrés pyrénéens transitant par Bordeaux au XVIIIe siècle à destination des Antilles, exactement de 1712 à 1787. On comptabilise plus d’un millier provenant soit de l’Ariège, du Comminges, de la Bigorre et, enfin, du Béarn. Les Béarnais, à eux seuls, représentent quasiment 60 % de l’ensemble. Leur destination première privilégie Saint-Domingue pour 70 % d’entre eux, puis viennent la Martinique pour 16 % et seulement 7 % pour la Guadeloupe.  On en dénombre un certain nombre qui ayant réussi revenaient au « pays ». La nostalgie ? Avec leur argent, ils acquéraient de la terre, véritable symbole de richesse et de réussite à l’époque, surtout si c’était une terre noble. 38  D’autres, comme  Joseph Laborde natif d’Oloron qui partit exploiter au Mexique les mines d’argent de Taxco dont il fut le commanditaire de l’Eglise et, bien que son exploitation se conclue par une faillite,  persévèrera dans les mines de Zacatecas. 37

     

     

    A côté de cette émigration choisie dirions-nous, il faut ajouter celle que l’on nomme actuellement la migration forcée.

    Il s’agit à l’époque qui nous concerne de l’exil de milliers de protestants – les huguenots - fuyant les persécutions édictées par Louis XIV lors de la fameuse révocation de l’Edit de Nantes de 1685.  Si de nombreux calvinistes béarnais optèrent soit pour la conversion afin de ne pas subir les dragonnades soit pour la discrétion ou même pour la clandestinité, d’autres préférèrent quitter le royaume de France pour continuer à pratiquer leur religion.

    En ce qui concerne les « nouveaux  convertis », l’Intendant Lebret écrit : « Il y en a beaucoup qui ne laissent pas lieu de douter qu’ils ne soient bien convertis ; d’autres  (et c’est  le plus grand nombre) remplissent tous les devoirs extérieurs de religion, sans qu’on puisse répondre de la sincérité de leur retour. D’autres, mais en assez petit nombre, se négligent ; enfin, très peu se dispensent entièrement d’aller à la messe et aux instructions ; mais aucun ne s’en dispense scandaleusement, en sorte qu’il ne semble pas qu’il y ait encore beaucoup à travailler pour consommer en Béarn le grand ouvrage des conversions. » 39

    Historiquement, ce désir de vivre en accord avec leurs conceptions religieuses de la part des huguenots n’est pas nouveau. Dès le commencement des guerres de religion (1562-1598), on observe une migration, surtout à partir du massacre de la Saint-Barthélemy de 1572 qui s’estompe quelque peu avec l’édit de Nantes de 1598 par lequel Henri IV leur confère une « relative » tolérance pour connaître, à nouveau,  une remontée avec sa révocation par Louis XIV.

    Les historiens avancent plusieurs raisons à la décision de Louis XIV : confirmation de l’adage « Cujus regio, ejus religio » soit tel prince, tel religion (monarchie absolue de droit divin), la peur d’une instauration d’une république aux mains des réformés depuis la décapitation du roi anglais Charles Ier en 1649 par les anglicans et le souci d’écraser le particularisme huguenot.

    Cette législation sera renouvelée bien entendu en 1685 lors de la Révocation de l’édit de Nantes qui n’interdit pas la foi réformée en privée mais rend illégaux l’exercice du culte en public, les assemblées...en attendant leur conversion en la foi catholique. 40 Les sanctions « sexistes » consistaient, pour les hommes s’ils étaient appréhendés, à être envoyés aux galères et les femmes à la confiscation de corps et de biens (soit l’enfermement dans un couvent ou dans une prison). Leurs biens furent confisqués au bénéfice du Domaine et de la religion catholique par le biais des églises, des écoles...

     

     

    La fuite  se révélait dangereuse puisque le roi avait expressément défendu  dans un édit daté de plusieurs années auparavant , en  1669 (renouvelé en 1682) ,  que « …tous nos sujets, de quelque qualité et condition qu’ils soient de sortir de notre royaume pour aller s’établir , sans notre permission , dans les pays étrangers par mariage, acquisition d’immeubles et transport de leur famille et biens pour y prendre leurs établissements stables et sans retour à peine de confiscation de corps et de biens, et d’être censés réputés étrangers sans qu’ils puissent être ci-après rétablis ni réhabilités, ni leurs enfants naturalisés pour quelque cause que ce soit… » . 41

    La  destination ? Les Etats protestants bien entendu comme par exemple la Hollande, l’Angleterre, la Prusse mais aussi des contrées plus lointaines comme l’Amérique.

    On estime actuellement que cette migration a concerné entre 150 et 200 000 individus ce qui correspond à l’époque à ¼ des huguenots français à la fin du XVIIe siècle (800 000) et à 1% de la population française.

    Leur impact dans leurs pays d’accueil s’avèrera non négligeable notamment pour la diffusion de la culture française. Les huguenots sont pour la plupart des gens très instruits ce qui explique que  la langue française sera choisie pour être la langue savante de l’époque (parallèlement avec l’impact des philosophes français comme Diderot, Voltaire...).

    Les huguenots détenaient la réputation d’habiles artisans et industriels et, par conséquent, susceptibles d’apporter avec eux leur savoir faire notamment dans le tissage dans une période où débutait le système de la manufacture (forme de production en série).

    Pour citer deux exemples de dirigeants allemands soucieux d’accueillir ces huguenots en fuite, mentionnons Charles Ier de Hesse-Cassel et l’électeur de Brandebourg.

    Charles  1er de Hesse-Cassel recevra  près de 4 000 huguenots dans sa ville de Cassel et créera une ville sur la Weser, Bad-Kartshofen. Une des raisons du landgrave de recevoir ces immigrés religieux réside dans le fait que la région a été dépeuplée par la guerre de Trente Ans (1618-1648).

    L’électeur de Brandebourg et duc de Prusse, Frédéric-Guillaume 1er a un souci, son territoire est déchiré par des conflits internes  entre luthériens et calvinistes qui luttent  pour le pouvoir. Etant lui-même calviniste l’intérêt d’introduire des huguenots est d’ordre politique et économique. Il cherche à asseoir son autorité face à la population luthérienne et à redresser l’économie qui a souffert des ravages de la guerre et des épidémies. Il signe et publie l’édit de Postdam  le 29 octobre 1685 peu de temps après la révocation de l’édit de Nantes. Près de 20 0000 protestants français répondent à son invitation très alléchante puisqu’il garantie de nombreux avantages. Dans l’édit il est stipulé qu’un sauf-conduit leur est assuré, la liberté de leur culte (autorisé dans leur langue d’origine), des pasteurs payés par le prince, une exonération d’impôt temporaire (les 4 premières années), d’habiter dans des logements vacants ou d’en construire avec des aides,  l’entrée sans frais dans les corporations d’artisans et même d’être naturalisé sans intégration obligation immédiate. A Berlin, un faubourg concentrera de nombreux huguenots, Friedrichstadt-Berlin). Leur apport est important tant dans le domaine démographique, que culturel (en 1700, ils représentent les deux tiers des membres fondateurs de l’Académie Royale des Sciences et des Lettres, en 1700 ; la langue française est si importante que la presse de la Prusse est francophone). Sur le plan économique, ils contribuent à développer les manufactures.

    Mais il est à noter que les relations entre les autochtones et les nouveaux arrivants ne furent pas toujours des plus cordiales, par exemple  les huguenots issus de la paysannerie  eurent des débuts difficiles. Les références culturelles étaient différentes, notamment par l’usage du patois par les huguenots. Par contre les aristocrates réussirent à s’incorporer plus facilement, au sein de l’armée et de la Cour.

     

    En ce qui concerne les Béarnais, on estime que la migration au moment de la Révocation de l’édit de Nantes concernerait près d’un millier d’entre eux. Ce chiffre s’avère peu élevé vu que le nombre des huguenots béarnais avoisinerait les 25 000, ce qui correspond à seulement 5%.

    L’Intendant Pinon écrit dans ses mémoires en 1698 : « De tous les nouveaux convertis de cette province, il en est sorti du royaume un très petit nombre. » 42

    La moyenne nationale se situe plutôt autour de 20%. Pour quelle raison ? On avance comme par exemple Albert Sarrabère plusieurs raisons. L’éloignement des pays anglo-saxons – protestants -, la peur des sanctions (frontières gardées, prime accordée aux délateurs, une vingtaine de Béarnais condamnés aux galères)  mais aussi un lien « harmonieux » unissant les catholiques et les huguenots béarnais avant 1685.  D’après cet auteur, c’est seulement la moitié des pasteurs qui émigrèrent dans notre contrée, le reste optant pour une conversion. Il rajoute que toutes les catégories sociales ont été impactées par l’émigration (nobles, négociants, paysans...).

    Albert Sarrabère précise qu’au point de vue numérique, la Hollande est la principale destination des Béarnais (on y trouve le baron d’Abère qui termina Général  Major  dans l’armée des Pays-Bas). 

    On cite souvent la colonie fondée par les protestants originaire d’Osse-en-Aspe  à Londres - plusieurs d’entre s’installèrent comme négociants et commerceront avec leur Béarn natal longtemps -, mais aussi un groupe de près de trois cents Béarnais qui migrèrent en Prusse (une centaine à Berlin même). On peut citer l’exemple d’un dénommé Jean de Forcade de Biaix dont sa famille est originaire d’Orthez. En effet, on retrouve un de ses ancêtres à un poste élevé puisqu’il est fermier des monnaies dans la province du Béarn et devient noble en 1658 en acquérant notamment le domaine de Rontignon. Notre sujet protestant rejette l’idée de se convertir et préfère servir le roi Frédéric 1er de Prusse. Il se fait remarquer et on lui confie des postes prestigieux comme lieutenant-général puis gouverneur militaire de Berlin. C’est un Béarnais qui créa la première berline en transformant un fiacre. 43

    Mais tous n’auront pas de semblables destinées, beaucoup connaîtront une vie plus humble dans leurs pays d’accueil.

    Christian Desplat faisant référence au Parlement de Navarre signale que ce dernier « engagea régulièrement des poursuites contre des « évadés » durant la période 1700-1728. Il cite l’exemple de ces quinze femmes incarcérées en Béarn entre 1722 et 1724.

    Ces émigrés proviennent dans leur grande majorité des localités suivantes : Orthez, Salies-de-Béarn, Sauveterre et Bellocq. Les Huguenots usent des filières comme celle reliant Orthez et Bayonne en passant par Sunarthe, Burgaronne et Andrein à destination pour la plupart d’entre eux les Provinces-Unies.44

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Notes :

    1- Fresel-Losey, Michel,  Histoire démographique d’un village en Béarn, Bilhères d’Ossau (XVIII-

        XIXe   siècles), Bordeaux, 1969, p 111.

    2- Idem, p. 142-143.

    3-  Bergues, Hélène, La Prévention des naissances dans la famille, Paris, PUF, 1960, INED, Cahiers

        « Travaux et Documents », n°30 ; Abbé GF Coyer, La Noblesse commerçante, Paris, Duchesne,

         1756.

    4-Nougué, Delphine, La monographie  de Pardies-Piétat , Maîtrise de l’UPPA, 2001.

    5- A.D.P.A., registres paroissiaux et d’état civil  de Pardies-Piétat,  5MI444, 1758-1889, p.91

    6- Fresel-Losey, Michel, Op.cit., p. 166.

    7- Idem., p. 213.

    8- Idem., p. 214.

    9- A.D.Pyr.-Atl.,  III E  1565

    10- Desplat, Christian,   Pau et le Béarn au XVIIIe, tome 1, chapitre 4, p. 436-438.

    11-Desplat, Christian, La vie en Béarn au XVIIIe, éditions Cairn, 2009, p. 175.

    12- Desplat, Christian, Billère, aujourd’hui ville, hier village », Revue de Pau et du Béarn, n° 18, 1991,

    1. 69.

    13- Staes, Jacques, Les registres paroissiaux et l’état civil, une source pour l’histoire de la Vallée de

         Barétous du XVIIe au XIXe siècle, Revue de Pau et du Béarn, n°26, 199, p.76.

    14- Nougué, Delphine, Op.cit.

    15- A.D.P.A., registres paroissiaux de Morlaàs, CBMS STANDRE, 1763-1772, p. 13.

    16- Desplat, Christian, L’encadrement médical dans le ressort de l’intendance d’Auch et de Pau au

         XVIIIe, Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale

         Année 1988 Volume  100 ,Numéro 184 ,pp. 459-475

    17- Fresel-Losey, Michel, p.88. 

    18- Desplat, Christian, La vie, l’amour, la mort, rites et coutumes-XVIe-XVIIIe siècles, éditions Cairn,

         1995, p. 43.

    19- Gelbart, Nina Rattner, the King’, Midwife: A history and Mystery of Madame du Coudray,

          Berkeley and Los Angeles: University of California Press, 1998.

    20- A.D.P.A., registres paroissiaux et d’état civil de Pardies-Piétat, 1758-1889, p. 44.

    21-A.D.P.A., registres paroissiaux et d’état civil d’Orin 1697-1889, p. 572.

    22-A.D P.A., registres paroissiaux d’Arette,  1658-1814, f° 182.

    23- A.D.P.A., registres paroissiaux de la paroisse Saint-André de Morlaàs, Morlaàs CBMS

            STANDRE, 1733-1742, p.35.

    24- A.D.P.A., registres paroissiaux et d’état civil  de Pardies-Piétat, 1758-1889, p.26.

    25- Nougué, Delphine, Op.cit.

    26- Grintchenko, Marie-Hélène, Les réformes protestantes en Béarn du désert à la Révolution...,

           Revue de Pau et du Béarn, n°28, 2001, p.119.

    27- Desplat, Christian, La Principauté de Béarn, Société nouvelle d’éditions régionales et de diffusion,

          Pau, 1980, p.325.

    28- Ariès, Philippe, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, éditions du Seuil, Histoire, 1980,

          p.265-266.

    29- Ariès, Philipe, Idem., p. 40-70.

    30- Gélis, Jacques, Histoire de la vie privée, De la Renaissance  aux Lumières, éditions Seuil, 1986,

    1. 316, 326

    31- Ariès, Philippe, Idem., p. 84.

    32- Ariès, Philippe, Idem., p. 89.

    33- Ariès, Philippe, Idem., p.80.

    34- Charnisay, Henri de, L’émigration basco-béarnaise en Amérique »,  éditions du Cairn, 1996, p.50

          A 54

    35- Laborde-Baden, Louis, voir le site : https://www.partage-culture-aspe.com/les-conférences-

          passées/1-histoire-régionale-et-locale/russell/loustaunau-chevrier/

    36- Labarère, Lucien, Pierre de Laclède-Liguest : le Fondateur de Saint-Louis, Missouri, 15 février

          1764, 1984

    37- Tucoo-Chala, Pierre, Le pays de Béarn, MCT Edition, 1984, p. 31-34.

    38- Tucoo-Chala , Pierre, Petite histoire du Béarn (du Moyen-Age au XXe siècle),  chez Princi Néguer,

           2000, p. 106.

    39- Intendant Lebret, Mémoire sur le Béarn, BSSLA de Pau, 2e série, tome 33, 1905, p. 91.

    40- Voir le site : http://huguenotsweb.free.fr/histoire/edit1685.htm

    41- Préludes et suites de la Révocation de l'édit de Nantes

    Collections numériques de la Sorbonne Année 1855 4 pp. 13-28

    Fait partie d'un numéro thématique : Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, recueillie et mise en ordre par G. B. Depping. Tome IV et dernier. Travaux publics – Affaires religieuses – Protestants – Sciences, lettres et arts – Pièces diverses

    42- Intendant Pinon, Mémoire concernant le Béarn, BSSLA de Pau, 2e série, tome 33, 1905, p.54.

    43- Albert Sarrabère , Bulletin des Amis de Nay et de la Batbielle .

    44-Desplat, Christian, La Principauté de Béarn, Société nouvelle d’éditions régionales et de diffusion,

          Pau, 1980, p.321.

     

     

    Bibliographie:

     

    Ariès, P. et Duby, G, Histoire de la vie privée, tome 3 de la Renaissance aux Lumières, éditions Seuil, 1986

    Bély, L. (dir.), Dictionnaire de l’Ancien régime, Paris, PUF, 1997

    Castetbon, R , Autour du mariage , collection : « La vie d’antan en Béarn et autres lieux »,  tome 2, parution : Centre généalogique des Pyrénées-Atlantiques, ADPA, 2011

    Desplat, Christian,  La vie en Béarn au XVIIIe, éditions Cairn, 2009

    Pau et le Béarn au XVIIIe, thèse doctorat Pau, chez J et D Editions Biarritz, 1992

    Duby, G. et Wallon, A  Histoire de la France rurale, tome 2, éditions Seuil, 1982

     Histoire de la France urbaine, la ville classique », éditions Seuil, tome 3, 1981

    Dupâquier, J., Histoire de la population française, tome 2, « De la Renaissance à 1789 », Paris, Presses universitaires de France, 1988

    Garnot, B, La population française aux XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles, Synthèse et histoire, Ophrys, 1992

    Le peuple au siècle des Lumières échec d’un dressage culturel, éditions Imago, 1990,Société, cultures et genres de vie dans la France moderne, XVIe-XVIIIe , Hachette supérieur, 1991

    Goubert, P et Roche D., Les Français et l’Ancien régime, édition Armand Colin, 1991

    Minvielle ,S., La limitation des naissances dans les petites villes : l’exemple d’Orthez, 1730-1830 , Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, Année 2001, volume 113, n° 235, p 307-325

    Soulet, J.F. ,  La vie quotidienne dans les Pyrénées sous l’Ancien régime du XVIe au XVIIIe , chez Hachette,1977

    Zinck ,A; Azereix, une communauté rurale à la fin du XVIIIe , Paris SEVPEN., 1969

    Pays et paysans gascons sous l’Ancien Régime, thèse d’Etat, Université Paris I,dactyl. 9 volumes, 1986

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